Europe – Quid de l'autonomie européenne des paiements par carte ?

Europe – Quid de l'autonomie européenne des paiements par carte ?

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Le rapport « Report on card schemes and processors » récemment publié par la Banque centrale européenne offre une analyse de l'état actuel du marché des paiements par carte dans l'Union européenne (UE). Ce document permet de comprendre les dynamiques à l'œuvre dans ce secteur ainsi que les enjeux en matière de souveraineté financière.

En 2023, les paiements par carte ont consolidé leur position dominante dans le paysage des transactions dématérialisées au sein de l'Union européenne, représentant à présent 54% de celles-ci. Cette prédominance souligne leur rôle central dans l'infrastructure financière européenne et l'importance d'un suivi approprié de ce secteur.

Prépondérance des schémas de cartes non-européens

Le rapport met en évidence une érosion des schémas de cartes nationaux1 : on n'en compte plus que neuf actifs dans l'ensemble de l'Union européenne. À côté de cela, treize pays de la zone euro dépendent désormais entièrement des schémas de cartes internationaux pour leurs transactions. Même là où des schémas nationaux subsistent, leur part de marché ne cesse de reculer face à la concurrence accrue des acteurs internationaux. Résultat, les schémas internationaux dominent aujourd'hui les paiements par carte dans l'UE. En 2022, les schémas nationaux ne représentaient plus que 39% des paiements par carte au sein de la zone euro. Ces évolutions accentuent la dépendance croissante de l'UE envers des acteurs non européens et soulève des préoccupations quant à l'autonomie stratégique de l'UE en matière de paiements.

Des processeurs de paiement partiellement européens

L'écosystème des processeurs de paiements2, un autre élément-clé de l'infrastructure des paiements par carte, est également en pleine évolution. Le rapport dénombre 80 processeurs actifs dans l'UE (sans compter leurs filiales), un chiffre qui témoigne d'une certaine diversité dans ce segment du marché. Parmi ces acteurs, quatre se distinguent par leur capacité à opérer à l'échelle transfrontalière, jouant ainsi un rôle prépondérant dans l'intégration du marché européen des paiements. Bien que la majorité des processeurs soit détenue par des entités européennes, on observe une présence importante d'investisseurs étrangers, notamment américains, qui détiennent une part significative de ces acteurs. Cette influence est particulièrement marquée en Allemagne et en Suède, deux marchés majeurs des processeurs en Europe. Cette situation renforce la dépendance structurelle de l'Union européenne et pourrait, à terme, limiter sa capacité à réguler et sécuriser ses paiements en cas de crise ou de tensions géopolitiques. 

Perspectives du secteur des paiements et leviers d'action pour l'Europe

L'analyse de la BCE met en évidence les implications stratégiques de ces tendances sur l'économie européenne et sa souveraineté, soulignant l'importance d'une action concertée pour préserver la souveraineté financière européenne. Face à ces défis, plusieurs leviers d'action peuvent être mobilisés. Le développement et l'adoption de solutions de paiement par carte paneuropéennes capables de rivaliser avec les schémas internationaux dominants pourrait être une priorité. Cette approche nécessite une collaboration renforcée entre institutions financières, régulateurs et entreprises technologiques européennes, afin de bâtir un écosystème de paiement plus robuste et innovant.

Au-delà des paiements par carte, l'Europe doit également renforcer sa position sur les autres segments du secteur des paiements. L'innovation est un levier-clé pour garantir la compétitivité des acteurs européens et diversifier les solutions de paiement. L'essor des paiements mobiles, de l'open banking et des cryptoactifs constitue à la fois un défi et une opportunité. L'Union européenne doit anticiper ces évolutions pour éviter une dépendance accrue à des infrastructures non européennes et s'assurer un rôle central dans le futur des paiements numériques.

L'émergence de solutions alternatives prouve que cette transformation est déjà en cours. Wero, le portefeuille électronique européen lancé récemment, en est un exemple concret. Développé par un consortium bancaire européen, Wero vise à proposer un système de paiement instantané paneuropéen, offrant une alternative crédible aux solutions dominantes actuelles. Son adoption à grande échelle représenterait une avancée stratégique pour réduire la dépendance aux acteurs non-européens et renforcer la souveraineté européenne sur le marché des paiements numériques.

Article publié le 7 mars 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

1 Le terme « schémas de carte » fait référence aux différents systèmes ou réseaux de paiement par carte bancaire. Les principaux schémas internationaux sont Visa et Mastercard. Cartes Bancaires (CB) est le schéma national français.

2 Les processeurs de cartes sont des sociétés positionnées dans la chaîne de transaction par carte entre l'acquéreur du commerçant et l'émetteur de la carte. Ils effectuent des tâches essentielles impliquées dans l'autorisation et le traitement d'un paiement par carte. Les principaux processeurs européens sont Nexi, Adyen, Global Payments ou encore Worldline.

 

Europe – Quid de l'autonomie européenne des paiements par carte ?

L'émergence de solutions alternatives prouve que cette transformation est déjà en cours. Wero, le portefeuille électronique européen lancé récemment, en est un exemple concret. Développé par un consortium bancaire européen, Wero vise à proposer un système de paiement instantané paneuropéen, offrant une alternative crédible aux solutions dominantes actuelles. Son adoption à grande échelle représenterait une avancée stratégique pour réduire la dépendance aux acteurs non-européens et renforcer la souveraineté européenne sur le marché des paiements numériques.

Joseph YAPI, Economiste bancaire - Europe et États-Unis