France – L'amélioration des conditions des femmes sur le marché du travail reste incomplète
- 13.03.2025
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À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes célébrée ce 8 mars, nous faisons le point sur des indicateurs qui montrent que des avancées sont à l’œuvre sur le marché du travail en termes d’égalité entre les femmes et les hommes, mais que celles-ci restent incomplètes.
L’Insee a publié les écarts de revenu salarial entre hommes et femmes en 20231. Ainsi, parmi les salariés travaillant principalement dans le secteur privé, le salaire net des femmes est inférieur de 22,2% en moyenne à celui des hommes : 21 340 euros annuels pour les premières, contre 27 430 euros pour les seconds. Une grande partie de cet écart s’explique toutefois par un volume de travail inférieur de 9,3% pour les femmes (moins souvent en emploi, et davantage à temps partiel) : à temps de travail identique (en équivalent temps plein, EQTP), l’écart se réduit à 14,2%. L’écart salarial s’est fortement réduit depuis 1995, puisque les femmes touchaient alors un salaire net inférieur de 34% à celui des hommes, et que cet écart ne se réduisait qu’à 22% après prise en compte des différences de volume de travail (ces écarts étaient restés à peu près stables jusqu’en 2001 !). Les inégalités de revenu salarial se sont donc réduites d’un tiers sur la période. Les femmes sont en effet devenues plus nombreuses parmi les cadres (38% en 2023, contre 23% en 1995), mieux rémunérés que les autres salariés en moyenne. Leur volume de travail a également augmenté depuis 1999.
Fait peu étonnant, l’Insee montre qu’en 2023, les inégalités salariales entre femmes et hommes à temps de travail identique croissent fortement avec l’âge. En revanche, l’écart de temps de travail est plus important parmi les plus jeunes (moins de 25 ans), car les femmes sont en moyenne plus diplômées que les hommes et s’insèrent donc plus tardivement sur le marché du travail. Les inégalités salariales sont marquées pour les ouvriers (à la fois dans l’absolu et en EQTP), et moindres pour les employés. Les écarts de salaires en EQTP sont plus marqués en moyenne parmi les cadres (15%) que parmi les professions intermédiaires (11,6%), alors même que les différences de volume de travail y sont plus faibles (4,4% contre 10,4%). Les inégalités salariales en EQTP croissent par ailleurs avec la taille de l’entreprise (7,2% pour les entreprises de moins de dix salariés, contre 17,3% dans celles de 5 000 salariés ou plus). Cet écart salarial varie également selon le secteur d’activité : il est le plus élevé dans les services mixtes (information-communication, services financiers et immobiliers), activités en moyenne les plus rémunératrices. À l’inverse, les femmes ont un salaire un peu plus élevé que celui des hommes dans la construction (de 1,6%), car elles y exercent plus fréquemment des activités mieux rémunérées (postes de cadres). C’est dans le commerce que les écarts de durée de travail sont les plus importants, inférieure de 12,8% en moyenne pour les femmes, qui y exercent plus fréquemment des postes d’employés.
En moyenne, les femmes exercent des métiers et travaillent dans des entreprises et des secteurs moins rémunérateurs que les hommes. L’écart salarial en EQTP est ainsi réduit à 3,8% pour le même emploi dans le même établissement (estimation sur un champ plus restreint, environ 40% des EQTP). Cet écart « à emploi comparable » ne peut pas directement s’interpréter comme une mesure des discriminations, car il n’est pas corrigé de caractéristiques non observées (expérience, ancienneté dans l’entreprise ou diplôme), qui pourraient avoir un impact à la baisse comme à la hausse sur cet écart.
La part des femmes diminue lorsque l’on s’élève dans l’échelle de distribution des salaires : elles représentent 42% des emplois dans le secteur privé en EQTP, mais 34% des effectifs au niveau du 9e décile (10% des salariés les mieux rémunérés), et seulement 1% au niveau du 99e centile (1% des salariés les mieux rémunérés). Les inégalités d’accès aux plus hauts salaires expliquent ainsi une part substantielle des écarts salariaux en EQTP (près de 4 points).
En outre, la maternité constitue encore un facteur significatif dans les écarts de rémunération, à la fois du fait de la baisse de salaire observée pour les mères après la naissance, mais aussi de carrières durablement ralenties ensuite. Le revenu salarial des mères est ainsi inférieur de 29,9% à celui des pères, et cet écart atteint 40,9% pour les parents d’au moins trois enfants. La différence de temps de travail est en effet plus importante pour les parents (11,9%, contre 9,9% dans l’ensemble pour les salariés du privé), et en particulier parmi les parents d’enfants de trois ans ou moins (23,1%), et les parents d’au moins trois enfants (17,7%). Même en EQTP, l’écart de salaire net entre femmes et hommes augmente avec le nombre d’enfants, atteignant 28,2% entre mères et pères d’au moins trois enfants. Même si la France fait toujours relativement bonne figure au sein de l’Union européenne2, il n’est donc pas très étonnant que le taux de fécondité soit au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale (hors années 1993 et 1994)3.
Au niveau européen, des données d’Eurostat4 indiquent que la France ne fait pas mieux que la moyenne de la zone euro en termes d’inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Avec un écart de salaire horaire brut de 12,2% en 2023 dans les entreprises d’au moins dix salariés, la France égalise en effet la moyenne en zone euro (12,3%), tandis que l’Espagne (9,2%) et surtout l’Italie (2,2%) font mieux. L’écart atteint toutefois 17,6% en Allemagne, qui fait office de mauvais élève parmi les grands pays de la zone euro.
La Banque de France5 confirme par ailleurs que malgré une lente amélioration, les femmes restent sous-représentées parmi les dirigeants d’entreprises françaises. En 2023, les femmes représentent ainsi 25% des dirigeants d’entreprises (définis comme les mandataires sociaux de l’entreprise, i.e. gérant d’une SARL ou directeur général d’une SA). Au sein des grandes structures (ETI et GE), elles sont encore moins représentées : à 17%, contre 26% pour les micro-entreprises et 19% pour les PME. Il faut souligner que la féminisation des postes de dirigeants a bien augmenté au cours des deux dernières décennies, puisque les femmes ne représentaient que 5% des dirigeants au sein des ETI-GE au début du siècle, mais la progression est lente et à ce rythme, la parité ne pourra être atteinte qu’à long terme.
La sous-représentation féminine est encore plus forte si l’on se concentre sur les grands groupes cotés en bourse, avec seulement 6,25% des postes de numéro un des entreprises du CAC 40 occupés par une femme en 2023. Cette part est toutefois en forte hausse depuis 2021, où elle était de 2,5%. La législation participe largement à la féminisation des organes de gouvernance des grandes entreprises ces dernières années. La France arrive ainsi en tête des pays de l’OCDE en matière de féminisation des conseils d’administration et de surveillances des groupes cotés, avec 46% en 2022, contre 43% en Italie, 35% en Allemagne et 32% aux États-Unis. Elle se classe par ailleurs dans le premier tiers des pays de l’OCDE pour ce qui est de la part des femmes parmi les managers, toutes entreprises confondues (y compris non cotées), à 38% en 2021, contre 41% aux États-Unis, mais seulement 29% en Allemagne et en Italie.
La Banque de France pour les dirigeants (comme l’Insee de manière plus générale pour les salariés), souligne que certains secteurs d’activité sont largement plus féminisés que d’autres. En particulier, à un niveau fin, les résultats sont très genrés, avec une proportion plus importante de femmes parmi les dirigeants dans les secteurs se rapportant à la bijouterie, aux enfants, à la coiffure, aux soins de beauté, à la parfumerie, aux vêtements et aux fleurs. En revanche, les femmes sont plus marginalement présentes parmi les dirigeants dans les secteurs relatifs à l’électronique, l’électricité, la plomberie, la construction et les machines.
Là aussi, la famille aurait un rôle crucial. Les inégalités sur le marché du travail (participation et salaires) entre femmes et hommes reflèteraient en effet celles au sein des ménages (répartition des efforts pour s’occuper des enfants et personnes fragiles), d’après les travaux de la prix Nobel d’économie 2023, Claudia Goldin. Les inégalités de genre ne se réduiraient d’ailleurs que lentement en France en termes de travail domestique (tâches ménagères, préparation des repas et courses alimentaires) d’après l’Insee, et les contraintes familiales seraient désignées comme principal frein à la création d’entreprise par les femmes d’après un rapport DGE-DGCS. La Banque de France montre ainsi une corrélation importante entre la proportion d’entreprises dirigées par des femmes et le nombre de femmes célibataires au niveau du département.
Au-delà de la question de l’équité, la sous-représentation des femmes parmi les dirigeants pose un problème d’efficacité économique. Cette mauvaise allocation des ressources, qu’elle soit d’ailleurs liée au genre ou à d’autres caractéristiques, aurait un impact économique potentiellement majeur d’après certains travaux. Un papier de 2019 (Hsieh et al.) montre ainsi que 30% de la croissance aux États-Unis entre 1960 et 2010 serait lié à une meilleure allocation des talents des femmes et des minorités.
Notre opinion – Qu’il s’agisse de salaire ou de représentation parmi les dirigeants, les femmes ont bénéficié de larges avancées ces dernières décennies en France, et en tant que femme, il vaut mieux entrer sur le marché du travail aujourd’hui qu’à la fin du XXe siècle. Les données, dont celles présentées ici, montrent toutefois que ces avancées restent incomplètes. De manière plus générale que sur le seul marché du travail, l’amélioration de la condition féminine reste insuffisante pour un pays comme la France, pour devenir non seulement le pays des droits de l’Homme, mais aussi celui des droits de la Femme. Au-delà de la question éthique, il s’agit aussi d’un levier de performance économique.
Article publié le 7 mars 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
1 Écart de salaire entre femmes et hommes en 2023 - Insee Focus - 349
2 La France arrive en deuxième position derrière la Bulgarie, voir l’article d’Eurostat : Fertility statistics - Statistics Explained.
3 Voir à ce titre le bilan démographique de l’Insee pour 2023 : Bilan démographique 2023 - Insee Première - 1978.
4 Voir notamment l’article : Gender pay gap statistics - Statistics Explained.
5 Voir notamment le billet de blog : Accès des femmes à la direction d’entreprise : des avancées mais les freins persistent | Banque de France.

Qu'il s'agisse de salaire ou de représentation parmi les dirigeants, les femmes ont bénéficié de larges avancées ces dernières décennies en France, et en tant que femme, il vaut mieux entrer sur le marché du travail aujourd'hui qu'à la fin du XXe siècle. Les données, dont celles présentées ici, montrent toutefois que ces avancées restent incomplètes. De manière plus générale que sur le seul marché du travail, l'amélioration de la condition féminine reste insuffisante pour un pays comme la France, pour devenir non seulement le pays des droits de l'Homme, mais aussi celui des droits de la Femme. Au-delà de la question éthique, il s'agit aussi d'un levier de performance économique.
Marianne PICARD, Economiste - France