Pays émergents et en développement – Dette : résilience et vulnérabilités
- 05.03.2025
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Dans un contexte post-pandémique déjà fragilisé, l'appréciation du dollar et la hausse des taux d'intérêt américains suite à l'élection de Trump renforcent les vulnérabilités des économies émergentes. Une nouvelle étude du FMI dresse la cartographie de ces risques spécifiques selon le niveau de développement des pays.
Dans le sillage de l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche, le dollar s'est apprécié et, alors que les perspectives de baisse rapide du taux des Fed funds par la Fed se sont éloignées, les taux d'intérêt longs (US Treasuries 10 ans) sont restés élevés. Ils tendent à renforcer l'attractivité américaine aux dépens des pays émergents dont ils fragilisent les cours de change, compliquent l'assouplissement monétaire et alourdissent les coûts de financement en monnaie locale et en devises. Or, ce contexte défavorable prolonge une période post-pandémique elle-même déjà marquée par une hausse sensible des taux « sans risque », des coûts de financement et du niveau de dette. C'est dans cet environnement qu'une nouvelle étude du FMI1 évalue les vulnérabilités et défis des économies émergentes en analysant des données clés. Cette étude livre une cartographie générale des risques en insistant sur leurs spécificités selon le niveau de développement (LICs, pays à faible revenu, et EMs, marchés émergents)2.
Tout en occasionnant peu de défauts sur la dette souveraine, la hausse violente des taux d'intérêt liée à la sortie de la crise pandémique a été coûteuse : une « résilience » coûteuse en termes de recours à des financements plus chers mais aussi à des ajustements fiscaux.
Avec un accès réduit (voire impossible) ou trop onéreux aux marchés extérieurs des capitaux, les pays ont dû augmenter le recours à l'endettement domestique, réduire les dépenses publiques (notamment santé, éducation, investissement) tout en accroissant le risque du duo « souverain-banque ».
Malgré le Covid-19, la plupart des pays ont réussi à « survivre » aux difficultés, avec des risques à court terme limités. Les analyses de la dette indiquent, en effet, peu de risques de défaut immédiat (14 sur 136 pays en difficulté)3 mais signalent des risques importants à moyen terme.
Après le choc massif lié au Covid, les marchés ont retrouvé un peu de « sérénité » : le spread moyen offert par rapport aux États-Unis est revenu à son niveau d'avant-Covid mais les taux d'intérêt américains sont élevés. Cela se traduit par un alourdissement des coûts de financement qui vont, de plus, continuer d'augmenter lors du refinancement de la dette prépandémique.
Par ailleurs, les niveaux de dette sur PIB sont plus élevés qu'avant la pandémie même s'ils sont faibles au regard de ceux qui prévalaient avant l'initiative HIPC (Highly Indebted Poor Countries) de la fin des années 90.
Enfin, la capacité à faire face aux chocs de liquidité est limitée. Si les niveaux de réserves sont proches de la moyenne prépandémique pour les EMs, ils ont chuté pour les LICs depuis 2020. Les flux de financement externes stagnent ou baissent ; les flux des investisseurs privés sont négatifs et rarement compensés par les multilatéraux.
En termes de vulnérabilité sur l'ensemble de la dette (interne et externe), le FMI distingue trois types de risques : roll-over, besoins de financement ou coûts élevés. Les petits pays font souvent face à des problèmes de volumes plutôt que de coût (les amortissements sont élevés et les intérêts sont contenus) tandis que les pays plus grands, avec une dette domestique importante, affrontent un risque accru de lien « pernicieux » souverain-banque.
En ce qui concerne la dette externe, pour les LICs, la pression sur les paiements externes (définie comme le ratio service de la dette/revenus gouvernementaux) a plus que doublé depuis 2010 et devrait continuer d'augmenter. Or, la capacité des LICs à générer des recettes fiscales domestiques et des devises est faible avec, fréquemment, un ratio de recettes publiques sur PIB inférieur à 15%. La pression exercée par la dette externe est généralement plus faible pour les EMs qui, bénéficiant de marchés financiers plus développés, peuvent recourir davantage à la dette domestique. Mais, le coût de celle-ci a également fortement augmenté.
De nombreux pays disposent cependant de marges pour élargir leur espace fiscal : plus de la moitié d'entre eux (dont 60% des LICs et 40% des EMs) ont des recettes publiques inférieures à 15% du PIB. Il est crucial d'améliorer les fondamentaux économiques, surtout pour les pays avec des risques de roll-over imminents, qui doivent entreprendre des réformes structurelles pour stimuler la croissance (donc améliorer les recettes fiscales) et les exportations. Ces efforts nécessitent du temps donc le soutien financier des créditeurs et partenaires internationaux.
La composition des créanciers détenteurs de dette externe émergente a évolué ces deux dernières décennies : au sein de la dette souveraine des LICs et EMs, la part des membres du Club de Paris a diminué au profit de celle du secteur privé. De plus, la part des créanciers multilatéraux est stable tandis que la dette domestique augmente surtout depuis la pandémie. "L'isolationnisme" se ressent sur le marché de la dette, avec une hausse de la détention par les investisseurs domestiques et les banques centrales (hausse justifiée par leur implication durant le Covid). Les pays innovent en utilisant de nouveaux instruments de dette, comme les contrats publics-privés ou les entreprises publiques avec garantie de l'État : cela complique l'analyse de la dette et augmente les risques en cas de restructuration. Il est essentiel de progresser dans les mécanismes de restructuration de la dette pour un accès plus adapté, prévisible et fiable en cas de besoin. Dans ce contexte, le rôle des créanciers multilatéraux reste crucial.
Notre opinion – Globalement, le FMI ne signale pas de périls immédiats mais insiste sur l'augmentation des risques à moyen terme, la complexité croissante de l'analyse de la dette, le rôle décisif des créanciers multilatéraux. L'incertitude liée à la nouvelle administration américaine pourrait ajouter des pressions. Les sources d'alourdissement significatif du coût de la dette sont nombreuses : protectionnisme accru, mouvements de change, chocs potentiels, ralentissement de la croissance, demandes sociales. Par ailleurs, dans le sillage de l'arrêt de programmes d'aide (USAID), les menaces formulées par l'administration américaine de retrait des banques de développement risquent de peser sur les moyens financiers des multilatéraux. Une telle sortie, bien que non (encore) actée, pourrait se révéler contraire aux intérêts géoéconomiques américains et laisser plus de place à des créanciers déjà très actifs tels la Chine.
Article publié le 28 février 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
1 "Debt Vulnerabilities and Financing Challenges in Emerging Markets and Developing Economies—An Overview of Key Data", FMI, January 2025.
2 LIC (selon Banque mondiale) : pays à Revenu national brut per capita inférieur à 1 145 USD, exemples : grande partie de l’Afrique sub-saharienne (Mali, Togo, Ethiopie…), Syrie, Afghanistan, Yémen et Corée du Nord.
MIC : entre 1 146 et 14 005 USD, exemples : Tunisie, Kenya, Nigeria, Argentine, Brésil, Mexique, Turquie, Indonésie…
EM (selon FMI) : Autres que les 39 économies avancées, avec un niveau de population, PIB par tête, PIB, et part des échanges « élevée », ce sont des pays comme : Pologne, Hongrie, Argentine, Mexique, BRICS...
3 Les pays ne sont pas cités dans l’article. Il s’agirait de 12 LIC, entre autres : la République du Congo, Djibouti, Éthiopie, Ghana, Zambie, Zimbabwe ; et 2 EM actuellement dans un processus de restructuration.

Globalement, le FMI ne signale pas de périls immédiats mais insiste sur l'augmentation des risques à moyen terme, la complexité croissante de l'analyse de la dette, le rôle décisif des créanciers multilatéraux. L'incertitude liée à la nouvelle administration américaine pourrait ajouter des pressions. Les sources d'alourdissement significatif du coût de la dette sont nombreuses : protectionnisme accru, mouvements de change, chocs potentiels, ralentissement de la croissance, demandes sociales.
Catherine LEBOUGRE & Jorge APARICIO-LOPEZ (stagiaire), Economistes - Amérique latine