Colombie – Le risque de voir sa réputation ternie

Colombie – Le risque de voir sa réputation ternie

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Quand certains s’émeuvent de la dégradation des finances publiques colombiennes, ils se voient fréquemment opposer un argument imparable : « C’est pourtant le seul pays de la région à ne jamais avoir fait défaut ». Toujours supposée sérieuse et, surtout, peu encline à l’autosatisfaction, la Colombie pourrait pourtant voir sa réputation de responsabilité fiscale se ternir. La progression forte et rapide de la dette, la rigidité des dépenses, l’incapacité à générer des recettes fiscales soutenables et le manque de perspectives claires fragilisent la situation fiscale colombienne.

Les agences Moody’s et S&P ont toutes deux abaissé d’un cran la note de la Colombie en juin à BB. Le gouvernement a suspendu la règle fiscalepour les années 2025-27, considérant qu’atteindre les objectifs de déficit sur cette période aurait un coût trop important en termes de croissance. Cette suspension est inquiétante : elle signale le relâchement des efforts de réduction des déficits de la part du gouvernement. Mais, elle peut également être vue comme une preuve de transparence : il s’agit de la reconnaissance du problème fiscal, jusqu’ici sous-estimé, et cela constitue la première étape nécessaire à sa résolution.

2024 : « annus horribilis » 

2024 s’est révélée « affreuse » pour les comptes publics et l’exécution du budget. La Colombie a terminé l’année 2024 avec un déficit budgétaire important (déficit du gouvernement à -6,8% du PIB) mais a, en particulier, souffert d’une baisse des recettes : celles-ci ont diminué pour la première fois en termes nominaux (-8 %, -6% en termes réels) pour atteindre 80% de ce qui était anticipé malgré une croissance réelle de 1,6% (prévision de 1,5% contenue dans le budget). Le gouvernement a qualifié cette chute d’exceptionnelle, un avis non partagé par le CARF2, selon lequel cette perte de recettes devrait persister au cours des prochaines années. En réaction à la contraction des revenus, le gouvernement a procédé à des gels de dépenses : le budget a été sous-exécuté (82%) avec un ajustement particulièrement préjudiciable à l’investissement public (taux d’exécution de 55%). À la suite de désaccords politiques, le budget 2025 a été passé par décret en décembre, pour la première fois dans l’histoire nationale. Le projet de budget faisait apparaître un déficit de financement de 12 000 milliards de pesos colombiens (COP)3 (soit 1% du PIB de 2024), dépendant d’une réforme fiscale finalement non réalisée. Le sous-financement avait donc vocation à se transformer en déficit.

2025 : le verre à moitié vide (ou à moitié plein ?)

En dépit d’une légère amélioration des recettes, le déficit se creuse. Le déficit budgétaire cumulé en juillet atteint 4,3% du PIB (1,4 point de pourcentage de plus qu’en 2024 sur la même période) ; il est attendu à 7,1% pour l’ensemble de l’année. Compte tenu de la rigidité des dépenses (86% du budget 2025), leur croissance n’est pas compensée par la croissance des revenus (pourtant en hausse de 5% en termes réels par rapport à 2024) qui souffre encore de prévisions trop optimistes et de la mauvaise année fiscale 2024. La dette a crû de plus de 3 points de PIB et se situe déjà à 63% du PIB en août 2025. 

Dans ce contexte fiscal et à l’approche du cycle électoral, le gouvernement a annoncé une suspension de la règle fiscale sur la période 2025-2027 et ne prévoit désormais une stabilisation de la dette qu’à partir de 2027. Le gouvernement se justifie en expliquant que le respect de la règle budgétaire serait trop coûteux en termes d’investissement public et d’activité. Les marges de manœuvre sont trop faibles pour faire les ajustements nécessaires. Si le CARF assimile cette suspension à une perversion de la clause dérogatoire, il salue la sincérité de l’exécutif, dont « l’aveu de faiblesse » est vu comme le premier pas nécessaire afin d’aborder sérieusement le sujet fiscal. Jusqu’à présent, le gouvernement avait, en effet, justifié les problèmes comme l’héritage de la « mauvaise gestion du Covid ». La règle fiscale n’avait pas été dénoncée mais déjà pervertie selon le CARF. Le gouvernement « prétendait » avoir respecté la règle fiscale en comptabilisant des transactions exceptionnelles (TUV4) pour un montant de 1,4% du PIB ; or, afin que la règle soit respectée, selon le CARF, 0,38% seulement aurait dû être enregistré comme élément exceptionnel.  

L’activation de la clause dérogatoire est une sorte de « pis-aller » ; elle peut se révéler utile si elle alerte au point de conduire au processus d’ajustement fiscal requis. Dans ce contexte, la crédibilité du plan de redressement est décisive et permet, notamment, de restaurer la confiance des marchés. Or, après l’activation de la clause dérogatoire, le gouvernement avait, en juin, communiqué un cadre de financement à moyen terme annonçant un projet de budget 2026 responsable, ce qui n’est pas véritablement le cas.

2026 : à l’aube des élections

Le projet de budget 2026 a suscité de nombreuses polémiques et son « austérité » est moindre que promis en juin dernier. Pour la deuxième année consécutive, faute de faire voter la réforme fiscale, le projet de budget est « sous-financé » (or, des dépenses sous-financées risquent de finir en déficit) et il s’agit cette fois de 26 000 milliards de COP (en dépit des recettes jugées optimistes). Le congrès a voté une réduction des dépenses de 10 000 milliards de COP et redonné un peu d’espoir aux marchés. Symboliquement (politiquement), ce geste est important : c’est un marqueur de la stratégie de l’opposition qui lui permet, en outre, d’éviter que le président ne dispose de marges de manœuvre en année électorale. Mais, cette réduction semble insuffisante. Le CARF estime que 29 400 milliards de COP d’ajustements additionnels sont nécessaires.

Dans l’état actuel, le budget5 prévoit un déficit de 6,2% du PIB, une très légère hausse de l’investissement public et des dépenses au titre de l’endettement moins élevées (amortissements plus faibles qui compensent une charge d’intérêts plus lourde). La charge d’intérêts s’élève à 4,2% du PIB. Le déficit primaire atteint 2% ; les dépenses primaires (hors amortissements mais « rigides » à hauteur de 90%, ce qui limite les possibilités d’ajustement en cas d’urgence) et les revenus se situent, respectivement, à 20,6% et 18,6% du PIB. Les prévisions de croissance du gouvernement (3%) semblent légèrement optimistes au regard de celles du consensus (2,7%).

La nouvelle réforme fiscale présentée par le gouvernement prévoit un élargissement de la TVA, des taux marginaux d’impôt sur les revenus les plus élevés ainsi que d’autres taxes sur le carbone ou sur les paris. Actuellement, faute de consensus politique, son approbation semble impossible, comme cela était déjà le cas en 2024.

Un peu au-delà : une fois l’élection passée

Actuellement, les intérêts de la dette absorbent 31% des recettes de l’État (moyenne historique à 20%), soit près de 4,4% du PIB. La trajectoire de la dette pourrait se détériorer : les déficits primaires nécessaires pour éviter un emballement devraient être supérieurs à 1,8% du PIB à partir de 2027. Le CARF a, de plus, revu à la baisse les perspectives de croissance colombienne à long terme en raison, notamment, du sous-investissement.

Le tournant « austéritaire » n’ayant pas été vraiment pris et la réforme fiscale s’annonçant improbable, les perspectives budgétaires s’assombrissent. Les recettes surestimées, les dépenses inflexibles, des stratégies fiscales contrariées, laissant place à l’absence de stratégie claire, seraient des raisons d’inquiétude. Et pourtant, les marchés, qui anticipent un changement de gouvernement lors des élections en mai prochain, se montrent relativement « sereins », comme en témoigne la baisse du spread EMBI depuis juin.   

Article publié le 10 octobre 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Notes

  1. Règle fiscale introduite en 2011 et modifiée en 2021. Objectif de déficit structurel primaire net des effets du cycle (cycle économique, prix du pétrole, éléments exceptionnels) : solde primaire quand l’output gap est égal à zéro
  2. Consejo Autonomo de la Regla Fiscal
  3. 1 dollar américain = 3 889 pesos colombiens (10/10/2025)
  4. Transacciones de Unica Vez
  5. Gouvernement central (hors sécurité sociale, prévue en excédent, et régions)
Colombie – Le risque de voir sa réputation ternie

Le gouvernement a suspendu la règle fiscale pour les années 2025-27, considérant qu’atteindre les objectifs de déficit sur cette période aurait un coût trop important en termes de croissance. Cette suspension est inquiétante : elle signale le relâchement des efforts de réduction des déficits de la part du gouvernement. Mais, elle peut également être vue comme une preuve de transparence : il s’agit de la reconnaissance du problème fiscal, jusqu’ici sous-estimé, et cela constitue la première étape nécessaire à sa résolution.

Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine