Donald Trump et ses banquiers

Donald Trump et ses banquiers

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Donald Trump est obsédé par le déficit commercial américain, qu’il attribue à la concurrence jugée déloyale des pays excédentaires – tels que la Chine ou l’Allemagne – au détriment des intérêts américains. Dans sa logique, le recours au protectionnisme et à l’instauration de barrières tarifaires constitue un levier nécessaire, qu’il juge efficace, pour rééquilibrer les échanges bilatéraux. Néanmoins, la guerre commerciale, lancée par Donald Trump lors de son premier mandat, a mis en lumière les limites de cette approche. Contrairement aux attentes, le déficit commercial ne s’est pas résorbé ; il s’est même aggravé. Si les droits de douane peuvent freiner temporairement les importations, ils ne s’attaquent pas à la cause du problème, à savoir le déficit structurel d’épargne intérieure. En d’autres termes, les États-Unis vivent au-dessus de leurs moyens et doivent faire appel à l’épargne étrangère pour maintenir leur train de vie.

Jusqu’à présent, le double déficit – budgétaire et extérieur – est financé sans difficulté en raison de l’appétit soutenu des investisseurs étrangers pour les actifs libellés en dollars. En tant qu’émetteurs de la principale monnaie de réserve mondiale – le dollar – et fournisseurs d’actifs sans risque – les bons du Trésor –, les États-Unis occupent une position centrale dans le système monétaire international. Cette domination contribue à soutenir la demande mondiale d'actifs de réserve en dollars, leur permettant d'emprunter à l’étranger à des conditions avantageuses. C'est ce que l'on appelle le « privilège exorbitant » du dollar.

Ce recyclage de l’épargne mondiale sur les marchés américains demeure néanmoins conditionné par la confiance accordée aux actifs libellés en dollars. Or, cette confiance est sensible aux dynamiques émotionnelles et collectives : elle peut fluctuer au gré des perceptions ou des croyances qui influencent les comportements des investisseurs. Ainsi, des épisodes de peur ou de doute – liés à l’instabilité politique, au risque de crise budgétaire ou à une perte de crédibilité des institutions américaines – pourraient fragiliser cette confiance, incitant les investisseurs à délaisser les actifs américains ou à exiger des primes de risque plus élevées, ce qui remettrait en cause la capacité des États-Unis à se financer à moindre coût sur les marchés internationaux.

À titre d’illustration, les réactions observées lors des annonces du « Liberation Day » ont offert un aperçu de ce qui pourrait se produire si la confiance dans le dollar venait à s’éroder. Traditionnellement, les actifs libellés en dollars jouent un rôle de valeur refuge en période d’incertitude, entraînant un renforcement du billet vert et une baisse des taux d’intérêt. La dynamique a cette fois été inversée, avec un recul du dollar et des tensions sur les marchés obligataires, révélatrices d’un début de panique chez les investisseurs. Ce mouvement de défiance vis-à-vis des actifs en dollars constitue un signal d’alerte, d’autant plus préoccupant que le caractère imprévisible des actions et des politiques de Donald Trump semble peu propice à instaurer un climat de confiance durable. On peut à cet égard rappeler qu’environ un tiers de la dette américaine négociable sur les marchés est détenu par des investisseurs étrangers, de sorte que tout changement de sentiment pourrait entraîner des répercussions importantes.

Les investisseurs sont préoccupés par les attaques répétées de Donald Trump à l’encontre de l’indépendance de la Réserve fédérale (Fed). Une telle pression politique sur la conduite de la politique monétaire risquerait d’en compromettre la crédibilité, notamment si elle se traduisait par des taux d’intérêt artificiellement bas et inadaptés à la conjoncture. Une montée des tensions inflationnistes pourrait alors entraîner un désancrage des anticipations, poussant les investisseurs à exiger une prime d’inflation plus élevée afin de compenser l’érosion de la valeur réelle de leurs portefeuilles obligataires. 

De même, la politique de dollar faible prônée par Donald Trump, sous l’influence de son conseiller économique Stephen Miran – désormais membre du Conseil des gouverneurs de la Fed –, pourrait fragiliser la crédibilité du dollar en tant que devise pivot du système monétaire international. Son projet d’« accord de Mar-a-Lago », inspiré des accords du Plaza ou du Louvre des années 1980, vise à orchestrer une dépréciation du dollar, tout en exerçant une pression sur les créanciers officiels pour qu’ils souscrivent à des obligations du Trésor centennales sans coupon. L’éventualité d’une telle restructuration déguisée de la dette risque de compromettre l’attractivité des actifs libellés en dollars.

À force d’être soumis aux pressions de la première puissance financière mondiale, par le biais de politiques d’intimidation, voire d’extorsion, les créanciers des États-Unis pourraient se montrer moins enclins à financer à bon compte les largesses budgétaires américaines. La hausse des primes de risque pourrait alors mettre sous pression la soutenabilité de la trajectoire d’endettement, contraignant les autorités à opérer des choix politiques impopulaires. Par ailleurs, l’idée selon laquelle il n’existerait aucune alternative crédible au dollar reste sans doute valable aujourd’hui, mais relève davantage, sur le plus long terme, d’une croyance que d’une certitude historique, les devises clés n’étant pas immortelles. Dans tous les cas, Donald Trump ferait bien de méditer ce principe de bon sens selon lequel il est toujours préférable de rester en bons termes avec son banquier.

Donald Trump et ses banquiers

À force d’être soumis aux pressions de la première puissance financière mondiale, les créanciers des États-Unis pourraient se montrer moins enclins à financer à bon compte les largesses budgétaires américaines.

Isabelle JOB-BAZILLE, Directrice des Etudes Economiques Groupe