Monde – Scénario macro-économique 2025-2026 – En espérant un soupçon de stabilité...
- 03.10.2025
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En résumé
Dans un environnement international toujours aussi anxiogène, les incertitudes demeurent, nombreuses et multiformes. Néanmoins, en espérant déjà que celles qui émanent de la politique économique américaine se calment (et qu’a minima les droits de douane se stabilisent), le cap du scénario est maintenu. Il se caractérise notamment par un ralentissement sans récession aux États-Unis, suivi d’une accélération en 2026, une poursuite de la reprise dans la zone euro grâce au soutien de l’investissement et, alors que la Chine en proie à "l’involution" voit ses performances de croissance s’éroder, un "univers émergent" qui continue de faire preuve d’une résistance inédite.
Aux États-Unis, le premier semestre a été agité en termes tant de sentiment que de croissance : après s’être laissé bercer par les succès promis par l’"exception américaine" et les privilèges offerts par le statut du dollar, les investisseurs ont signifié leur désamour à l’issue du fracassant "Liberation Day" ; du point de vue économique, en anticipation de droits de douane agressifs, les importations ont bondi au premier trimestre, avant de nettement se replier : elles ont pesé sur la croissance avant de lui apporter leur soutien. Après s’être contracté de 0,6% au premier trimestre , le PIB a ainsi progressé de 3,8% au deuxième.
Et pourtant, les grandes lignes de notre scénario américain, calé sur le calendrier prévisible des décisions économiques radicales de l’administration Trump, n’ont pas changé : ralentissement cette année (hausse agressive des droits de douane, politique anti-immigration, inflation), puis léger rebond l’année prochaine (soutien apporté par le "One Big Beautiful Bill Act", déréglementation). Notre scénario table ainsi sur une croissance annuelle moyenne de 1,7% en 2025, en baisse sensible par rapport aux 2,8% enregistrés en 2024, avant une accélération à 2% en 2026. La décélération en cours s’accompagne d’une fragilisation du marché du travail. Si le rythme des créations d’emplois ralentit, les licenciements restent modérés, comme le sont encore les pressions haussières sur le taux de chômage. Ce dernier pourrait atteindre un pic d’environ 4,5% d’ici la fin de l’année.
Malgré l’ajustement encore limité du marché du travail, l’attention s’est récemment concentrée sur la vulnérabilité croissante de l’emploi, au point d’éclipser les préoccupations relatives à l’inflation. Or, les droits de douane, à leur point d’impact maximal, ajouteraient près de 80 points de base à la hausse des prix sur un an. L’impulsion serait largement temporaire, mais pourrait entraîner l’inflation globale et sous-jacente vers 3,2% fin 2025. La hausse des prix excéderait encore sensiblement l’objectif de 2% fin 2026 : nos prévisions situent l’inflation sous-jacente et totale vers respectivement, 2,9% et 2,7%. Il est donc audacieux de supposer que la Fed négligera le volet inflation de son mandat au profit du seul volet emploi.
Du côté de la zone euro, malgré la frilosité de la consommation et un environnement extérieur plus défavorable, la reprise se poursuit. En écho au comportement américain, à une croissance soutenue (2,4% en variation trimestrielle annualisée), alimentée par un rebond des exportations au premier trimestre, a succédé un net refroidissement laissant tout de même la croissance en territoire positif (0,4%) et offrant un acquis confortable. Même si le contrecoup (finalement moins violent qu’on ne pouvait le redouter), des droits de douane continuent de légèrement peser sur le troisième trimestre, la croissance déjà engrangée permet désormais de tabler sur une progression du PIB de 1,3% en 2025, un rythme sur lequel elle se maintiendrait en 2026.
La résistance passée tient à la demande intérieure : elle s’est certes affaiblie, mais affiche un rythme légèrement supérieur à sa tendance de long terme et l’investissement, en particulier, a bien résisté à l’incertitude. Quant au scénario de maintien de la croissance sur son rythme potentiel, il se fonde, avant tout, sur l’investissement, porté à la fois par les fonds européens, les dépenses en défense et le plan de relance allemand. En revanche, l’impact de l’accord commercial de Turnberry, conclu cet été entre l’UE et les États-Unis, serait marginalement négatif et soustrairait 0,1 point de pourcentage à la croissance en 2026 par rapport à notre précédent scénario.
Dans un contexte pourtant voué à les fragiliser, les économies du "bloc émergent" continuent de bien résister. Elles profitent de la désaffection à l’égard du dollar qui allège les pressions sur leurs devises et leurs taux d’intérêt (locaux et en dollar), de la désinflation et de la bonne tenue de leur marché du travail. Leur croissance pourrait ainsi approcher 3,9% en 2025 et 2026 : une belle performance qui ne doit pas conduire à mésestimer (voire oublier) les fragilités. Ces économies restent exposées à un potentiel choc de marché, sont confrontées à un repli tendanciel de leur croissance moyenne et vont devoir s’adapter à un nouvel environnement concurrentiel tout en composant avec la trajectoire chinoise. Les risques liés au phénomène "d’involution" débordent de la seule Chine et alimentent la crainte d’une déflation exportée en Asie.
En Chine, en effet, la faiblesse persistante de la consommation, la correction prolongée du marché immobilier et les surcapacités dans divers secteurs (acier, véhicules électriques, solaire ou électronique) continuent d’alimenter les pressions déflationnistes, particulièrement visibles sur les prix à la production qui pourraient baisser de 2,6% en 2025. Ce phénomène, nommé "involution", est maintenant officiellement "dénoncé" par les autorités, qui souhaitent freiner la concurrence excessive via les prix et s'attaquer aux surcapacités. La "campagne anti-involution" a eu pour premier impact de réduire la baisse des prix à la production, sans effet de relance majeure de la demande. Même si les mesures de soutien s’intensifient, nombre d’entre elles relèvent de réformes structurelles et leur impact positif sur l'inflation ne se fera pas sentir immédiatement. L'inflation devrait ainsi rester quasi inexistante à 0,1% en 2025, avant de se hisser vers 0,6% en 2026. En raison de la hausse des droits de douane américains, de la faiblesse persistante de la demande intérieure et malgré divers amortisseurs (réorientation des exportations chinoises, résilience de la demande mondiale, soutien apporté par le policy-mix), la croissance poursuivrait son tassement : de 5% en 2024 à 4,8% en 2025 et 4,4% en 2026.
Du côté de la politique monétaire, l’heure n’est pas à la détente. Aux États-Unis, la résistance de l’inflation risque de faire déchanter les tenants d’un assouplissement monétaire rapide et massif. Dans la zone euro, l’inflation vers la cible et la reprise même modeste plaident en faveur d’un statu quo, suivi d’un resserrement quoiqu’encore lointain. Soucieuse d’éviter les effets de second tour, la Banque d’Angleterre pourrait différer sa prochaine baisse de taux. Quant au Japon, si elles s’éloignent, les hausses de taux restent à l’ordre du jour.
Plus précisément, aux États-Unis, notre scénario table sur une nouvelle baisse avant la fin de l’année, abaissant la borne supérieure de la fourchette du taux des Fed Funds à 4%, niveau sur lequel la Fed se "mettrait sur pause" tout au long de 2026. Un scénario assez éloigné de celui du marché (il anticipe 110 points de base de baisse d’ici la fin 2026) et qui considère, notamment, que les contrôles et les contrepoids semblent suffisants pour permettre à la Fed de résister à la pression de l’administration Trump. Quant à la BCE, elle a, au mois de juin dernier, baissé ses taux de dépôt et de refinancement à, respectivement, 2% et 2,15%, des niveaux auxquels elle les maintiendrait avant de les relever légèrement, lorsque l’amélioration économique fera peser un risque de pressions inflationnistes. Cette hausse n’interviendrait qu’à l’issue de la reprise et, par conséquent, pas avant la fin de 2026 au plus tôt.
Les taux d’intérêt subiraient des pressions haussières modérées. Aux États-Unis, la possible résurgence des préoccupations inflationnistes et les espoirs déçus d’assouplissement monétaire massif pourraient se traduire par une légère hausse des taux d’intérêt couplée à un aplatissement de la courbe. Favorisé par une croissance européenne résistant mieux qu’anticipé, puis soutenu par l’expansion budgétaire en Allemagne, ce mouvement se propagerait à la zone euro.
Dans notre scénario américain, le taux des bons du Trésor à deux ans, qui dispose d’une marge de progression, atteindrait 3,70% fin 2025. Toujours fin 2025, le rendement à dix ans des US Treasuries se situerait à 4,30%, mais le taux à trente ans (4,85%) peinerait à franchir la "barre psychologique" de 5%, grâce à la demande des fonds de pension. Le taux allemand à dix ans (Bund) atteindrait 2,80%. La réorganisation de la hiérarchie entre souverains de la zone euro se poursuivrait avec un spread contre le Bund de 50 points de base pour l’Espagne, d’une part, et de 75 points de base pour la France et l’Italie, d’autre part.
Enfin, lesté par une vague de désamour dans le sillage du fracassant "Liberation Day", ainsi que par des anticipations d’assouplissement monétaire certainement exagérées, le dollar a souffert. Alors que les entrées de capitaux au profit des États-Unis ne se sont pas taries et que l’assouplissement risque d’être moindre qu’anticipé, le dollar pourrait "retrouver son sourire". Il faudra toutefois s’armer de patience avant de voir l’euro se déprécier : notre scénario retient un cours de l’euro par rapport au dollar proche des sommets récents fin 2025 (1,17), avant une baisse en 2026 (vers 1,10 en fin d’année).

En espérant que les incertitudes qui émanent de la politique économique américaine se calment (et qu’a minima, les droits de douane se stabilisent), le cap du scénario est maintenu.
Catherine LEBOUGRE, Economiste