Argentine – Volatilité et incertitudes après la défaite électorale de Javier Milei
- 23.09.2025
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Après l’échec du parti présidentiel aux élections du dimanche 7 septembre dans la province de Buenos Aires (PBA), les marchés argentins ont renoué avec une volatilité élevée. Les récents scandales de corruption touchant l’entourage de Javier Milei, à un moment électoral crucial, avaient accentué les inquiétudes quant à un revers possible aux législatives d’octobre, d’une part, et un fléchissement du programme économique du gouvernement, d’autre part : deux échecs potentiels aux yeux des marchés. L’échec électoral dans la PBA est venu alimenter leurs craintes : le spread argentin a bondi de plus de 500 points de base (pdb) en moins d’un mois, passant de près de 700 pdb à la mi-août à 1 231 le 16 septembre. Quant au peso, il s’est déprécié rapidement face au dollar, en hausse de 14% sur un mois au point de franchir la borne supérieure de la bande de fluctuations et d’obliger la Banque centrale (BCRA) à puiser dans ses réserves pour soutenir le peso.
Cette instabilité s’inscrit dans un contexte économique plus large et nettement moins favorable qu’anticipé d’où émergent une croissance révisée à la baisse, un affaiblissement de la balance commerciale et des pressions accrues pour augmenter les dépenses publiques. Plus habitué aux choix brutaux qu’aux arbitrages subtils, Milei devra trouver un équilibre entre la réponse aux attentes sociales et la préservation du calme des marchés : une tâche délicate à l’approche des élections du 26 octobre, qui risquent de voir les pressions s’intensifier.
Stabilité fiscale et recul de l’inflation : les piliers du projet Milei
Le processus de désinflation se poursuit, avec une inflation annuelle tombée à 33% en août, son plus bas niveau depuis cinq ans. Ce recul n’est en rien "magique" mais s’explique essentiellement par la forte contraction de l’activité, des effets de base favorables et l’arrêt du financement monétaire du déficit. La désinflation permet une timide reprise des salaires réels, marquée par de fortes disparités entre catégories de travailleurs et sans que les pertes enregistrées depuis 2023 soient effacées. L’inflation reste la variable économique centrale pour les électeurs et une priorité majeure pour le gouvernement avant les élections. Sur le plan monétaire, la fin des Lefi1 (Letras Fiscales de Liquidez) en juillet, titres de maturité à un jour utilisés comme outil de gestion de la liquidité interbancaire et de repère pour le taux directeur, a généré une forte volatilité des taux d’intérêt, de la masse monétaire et des marchés.
Pour Milei, « l’ancrage fiscal et le surplus demeurent le seul chemin vers la prospérité et la solution définitive à la crise », une position qui lui vaut le soutien du FMI, malgré la volatilité récente. Le gouvernement vise un excédent primaire de 1,5% du PIB en 2025, pour un surplus total de 0,3% : un objectif crédible, compte tenu des coupes dans les dépenses couplées à la relative résistance des recettes. Le maintien de tels résultats est désormais incertain.
Dans la foulée des élections dans la PBA, le ton a effectivement changé : la présentation du budget 2026, le premier de Milei2, ouvre la voie à une hausse "réelle" des dépenses sociales (retraites, universités, handicap). Bien que limitée et insuffisante pour retrouver les niveaux de 2023, cette augmentation (excédant la prévision d’inflation, trop optimiste) alourdit les dépenses et maintient, au mieux, les résultats attendus en 2025 : solde primaire à 1,5% du PIB, bien en-deçà de l’objectif du FMI de 2,2%, pour un surplus total de 0,3%. Au mieux, car les hypothèses macro-économiques apparaissent optimistes : le budget prévoit 5% de croissance, 10% d’inflation et un dollar à 1 423 pesos, alors que le consensus table sur 3,2% de croissance, 18% d’inflation et qu’une appréciation du peso n’est pas d’actualité. En cas de défaite électorale, l’opposition péroniste3 pourrait accentuer la pression comme en témoigne, pour la première fois sous la présidence Milei, l’annulation en août par le Congrès d’un veto présidentiel concernant la revalorisation des retraites.
Des perspectives économiques moins optimistes qu’il y a un an : les limites du plan Milei
L’indicateur d’activité, la production industrielle et la confiance des ménages reculent depuis plusieurs mois. La croissance est attendue à 4,9% du PIB en 2025, contre 5,5% selon les prévisions de début d’année. Ce résultat repose surtout sur des effets de base favorables après les contractions de 2023 et 2024 : un rattrapage largement mécanique qui permet à l’activité de retrouver à peine son niveau de 2023. Les signaux d’essoufflement se multiplient (au deuxième trimestre, l’activité s’est repliée avec une croissance trimestrielle de -0,1%) et la reprise reste déséquilibrée.
L’agriculture et les secteurs extractifs profitent de la dérégulation, surtout à l’exportation ; la finance et l’hôtellerie connaissent une dynamique positive. En revanche, l’industrie manufacturière et la construction restent nettement en retrait, affichant des reculs de 7% et 14% par rapport à 2023. Du côté de la demande, la croissance est tirée par la consommation privée et l’investissement, profitant surtout aux secteurs exportateurs. La demande externe a pesé négativement au premier semestre : si les exportations ont progressé de 4%, les importations ont bondi de plus de 30%, stimulées par le taux de change réel élevé et la suppression de taxes à l’importation. La tendance s’est toutefois atténuée au deuxième trimestre.
Sur le plan financier, « rapatrier les dollars » reste un objectif essentiel, mais les entrées liées à l’amnistie de 2024 s’essoufflent. L’accumulation de réserves et l’amélioration de la position extérieure nette prévues par le FMI n’ont pas été atteintes. Dans sa première revue fin juillet, le Fonds a attribué ces écarts à des effets non anticipés avant l’annonce du programme. Les réserves brutes de la BCRA atteignent 33 milliards de dollars, et les seuls paiements en faveur du FMI et des créanciers multilatéraux à brève échéance (d’ici à la fin de l’année 2025 et en 2026) sont estimés à 13 milliards de dollars. Les interventions de la BCRA pour soutenir le peso accroissent la pression sur les réserves et risquent de saper la confiance des investisseurs.
La situation économique et politique reste très volatile. La reprise incomplète et les doutes sur la soutenabilité du surplus budgétaire alimentent l’incertitude. Milei, qui a jusque-là gouverné sans majorité grâce à l’appui ponctuel du PRO (Propuesta Republicana, parti de l’ancien président Macri) et à ses vetos, cherche désormais une "majorité constructive" pour poursuivre son projet. Milei adopte donc un ton plus mesuré et tente de bâtir des alliances à droite. Le rétablissement du ministère de l’Intérieur4 et certaines concessions budgétaires en sont des signaux. Usée par l’ajustement économique et social ainsi que par les scandales de corruption, l’opinion publique se montre nettement plus défavorable. L’instabilité des marchés devrait persister au moins jusqu’aux législatives du 26 octobre, dont l’issue sera déterminante.
- Un article portera prochainement sur la politique monétaire argentine qui mérite qu’un focus entier lui soit dédié.
- Le budget 2023 de Fernandez a été prolongé deux années de suite (2024-2025) et modifié par décrets, un fait inédit dans l’histoire argentine.
- Les leaders actuels du péronisme sont Axel Kicillof gouverneur de la Province de Buenos Aires et possible futur candidat à la présidentielle, et Cristina Fernandez de Kirchner présidente du Parti justicialiste (parti majoritaire dans la coalition « péroniste » Union por la Patria).
- Ministère chargé des relations entre les provinces et l’État.
Article publié le 19 septembre 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Plus habitué aux choix brutaux qu’aux arbitrages subtils, Milei devra trouver un équilibre entre la réponse aux attentes sociales et la préservation du calme des marchés : une tâche délicate à l’approche des élections du 26 octobre, qui risquent de voir les pressions s’intensifier.
Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine