Trump pose le bon diagnostic mais se trompe sur les remèdes

Trump pose le bon diagnostic mais se trompe sur les remèdes

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La montée des déséquilibres mondiaux constitue aujourd’hui un risque pour la stabilité économique et financière mondiale. Ces déséquilibres se manifestent par des écarts persistants entre les positions des comptes courants des pays : déficits importants aux États-Unis, excédents en Chine et en Europe. Bien qu’ils traduisent des divergences dans les balances commerciales, ces déséquilibres, tel un jeu de miroir, reflètent avant tout des disparités structurelles entre les niveaux d’épargne et d’investissement. Leur accumulation à l’échelle mondiale expose le système financier international à un risque de crise en cas de retournement brutal, comme cela a été le cas dans le passé. 

Avant la crise de 2008, l’excès d’épargne à l’échelle mondiale - souvent désigné par le terme de "saving glut " - a contribué à une baisse généralisée des taux d’intérêt. Ce contexte a favorisé des prises de risque exagérées ainsi qu’une accumulation excessive de dettes, portée par une vague d’innovations financières effrénées, censées repousser les limites traditionnelles de l’endettement. Ce mécanisme a alimenté des bulles géantes, immobilière et de crédit, au cœur notamment de la crise des subprimes. La crise des dettes souveraines en zone euro puise également ses racines dans les déséquilibres internes à la zone euro avec l’accumulation d’importants déficits extérieurs dans les pays du Sud, financés par l’épargne excédentaire des pays du Nord en quête de placements rémunérateurs. Ce modèle, fondé sur les déséquilibres croissants, a volé en éclat lorsque ces flux de capitaux ont soudainement cessé ("sudden stop"), dans un climat de défiance accrue envers les pays fortement endettés, illustré notamment par le cas grec. 

Il est donc indispensable d'identifier les causes spécifiques des déséquilibres extérieurs de chaque pays pour les corriger sans heurts.

Sous cet angle, Donald Trump, depuis longtemps préoccupé, pour ne pas dire obsédé, par le déficit commercial américain, pose un diagnostic pertinent en le considérant comme une anomalie à corriger. En revanche, il se trompe sur les remèdes : le recours au protectionnisme et aux barrières tarifaires ne permet en rien de résoudre le déficit d’épargne des États-Unis, à l’origine du déséquilibre commercial. Le constat est implacable : les Américains vivent au-dessus de leurs moyens. Les ménages dépensent trop tandis que l’État creuse son déficit. Cette combinaison d’une faible épargne privée et d’une forte désépargne publique engendre un déficit structurel d’épargne face aux besoins d’investissement du pays, alimentant ainsi de manière chronique le déficit extérieur. Le rééquilibrage des comptes extérieurs exige une réduction du déficit public — une orientation diamétralement opposée à celle choisie par Donald Trump avec sa « One Big Beautiful Bill Act » et ses baisses d’impôts massives. Tout creusement du déficit public, ayant pour corollaire une aggravation des déséquilibres extérieurs, implique un recours accru à l’épargne étrangère. 

De l’autre côté du miroir, la Chine affiche un important excédent courant, fruit d’un modèle économique axé sur les exportations et soutenu par une épargne privée structurellement élevée. À court terme, la croissance chinoise reste tributaire de la demande extérieure, en raison d’une consommation des ménages affaiblie par la crise immobilière. Au-delà, un rééquilibrage durable du modèle suppose un renforcement de la consommation intérieure, soutenu par le développement des filets de protection sociale et des services publics, afin de réduire l’épargne de précaution. Cette bascule vers un modèle de croissance plus autocentré et autonome devrait contribuer à réduire les déséquilibres extérieurs et à résorber l’excès d’épargne à investir à l’étranger. 

La zone euro constitue l’autre grande région affichant des excédents extérieurs persistants, principalement tirés par les importants surplus commerciaux de l’Allemagne. Si l’épargne privée y est abondante et les déficits budgétaires globalement maîtrisés (à l’exception de la France), la zone euro souffre surtout d’un manque d’investissement et d’innovation, ce qui la rend vulnérable face aux ambitions stratégiques de la Chine et des États-Unis. Pour rester dans la course à la puissance et regagner son autonomie stratégique, l’Europe doit investir massivement, non seulement dans les secteurs de la défense et de l’énergie, mais aussi dans les infrastructures numériques, les technologies de pointe et les industries du futur. À ce titre, le plan de relance allemand, d’un montant sans précédent, pourrait amorcer un rééquilibrage en mobilisant l’épargne nationale au service d’investissements destinés à réinventer le modèle économique du pays. À l’échelle européenne, au-delà de l’hypothèse d’une mutualisation d’une dette d’avenir, la création d’une Union de l’épargne et de l’investissement apparaît indispensable pour pouvoir financer sur ses ressources propres les efforts collectifs d’investissement, plutôt que de voir ces capitaux se déverser sur les marchés américains.

Ce mécanisme de vases communicants entre excédents et déficits d’épargne semble conférer une forme de logique ou de cohérence à la persistance des déséquilibres globaux. Donald Trump serait néanmoins bien avisé de ménager les créanciers des États-Unis qui, face à ses tentatives d’intimidation, voire d’extorsion, pourraient privilégier leur rééquilibrage interne au détriment du financement de la dette américaine. Cette sorte de « grève du financement » contraindrait alors les États-Unis à des ajustements douloureux, non sans risques pour la stabilité financière mondiale.

Trump pose le bon diagnostic mais se trompe sur les remèdes

L’accumulation des déséquilibres extérieurs à l’échelle mondiale expose le système financier international à un risque de crise en cas de retournement brutal, comme cela a été le cas dans le passé. Il est donc indispensable d'identifier les causes spécifiques de ces déséquilibres de chaque pays pour les corriger sans heurts.

Isabelle JOB-BAZILLE, Directrice des Etudes Economiques Groupe