La chancelière de l’Échiquier, Rachel Reeves, a dévoilé son budget de l’automne 2025 le mercredi 26 novembre, très attendu par les marchés. En ligne avec les anticipations, ce budget prévoit une nouvelle hausse significative des impôts et des taxes de 26 milliards de livres sur les cinq prochaines années, après une hausse de 32 milliards de livres annoncée dans le budget d’octobre 2024. Le budget de l’automne contient aussi une hausse des dépenses publiques de 9 milliards de livres à horizon 2029-30.
CitationLe gouvernement a choisi de jouer le rôle de la cigale plutôt que la fourmi, dépensant plus pour maintenir les prestations sociales, diminuer la pauvreté et alléger le coût de la vie pour les familles. Le coût sera supporté par les travailleurs, les épargnants et les entreprises (à travers une hausse des cotisations). Les marchés sont étonnamment cléments, probablement satisfaits par le doublement de la marge de manœuvre par rapport à la règle budgétaire principale.
L’enjeu principal pour la chancelière était de rassurer les investisseurs en confirmant qu’elle ne dévierait pas de sa règle budgétaire principale (ramener le solde budgétaire courant à l’équilibre en 2029-30) et que sa marge de manœuvre serait suffisamment augmentée pour assurer une certaine résilience face à des surprises négatives sur la croissance ou des chocs sur les taux. À en juger la réaction des marchés à la clôture du 26 novembre, la chancelière semble avoir atteint son objectif : les taux des gilts se sont légèrement repliés et la livre sterling s’est appréciée dans le sillage de l’annonce du budget. En effet, l’Office for Budget Responsibility (OBR) estime que la marge de manœuvre est plus que doublée, ce qui est une bonne surprise : la marge est estimée à 21,7 milliards de livres sterling contre 9,9 milliards de livres en mars et est proche de la moyenne historique des marges de manœuvre des précédents chanceliers (29 milliards de livres).
Le contexte économique est particulièrement complexe : la croissance ralentit, l’inflation et les taux d’intérêt se sont envolés, le taux de chômage progresse et la confiance des ménages et des entreprises s’inscrit en baisse. L’OBR a pris acte de ces développements défavorables dans son Economic and Fiscal Outlook en révisant à la baisse sa prévision de croissance pour 2026 (à 1,4% contre 1,9% prévu en mars). À l’exception de 2025 (croissance revue à la hausse à 1,5%), les prévisions des taux de croissance annuelle sont révisées à la baisse sur les cinq prochaines années avec une croissance moyenne de 1,5% par an contre 1,8% précédemment, en raison notamment de révisions à la baisse des prévisions de croissance de la productivité, de 0,3 point de pourcentage (pp) en moyenne par an.
En conséquence, la chancelière a dû faire face à une situation budgétaire détériorée par rapport au mois de mars. Cependant, l'ampleur de cette dégradation reste limitée comparée aux craintes initiales : contre toute attente, le « trou budgétaire » significatif qu’anticipaient bon nombre d'observateurs n'apparaît pas dans les estimations de l’OBR. De fortes révisions à la hausse des prévisions d’inflation (à 3,5% en 2025, et 2,5% en 2026, soit 0,2 et 0,4 pp au-dessus des prévisions de mars respectivement) ainsi que de la croissance des salaires (de 0,9 et 1 pp respectivement pour 2025 et 2026 par rapport aux prévisions de mars à 5,2% en 2025 et 3,3% en 2026 pour les revenus hebdomadaires moyens) ont compensé les effets négatifs des prévisions de productivité sur les recettes fiscales. La détérioration du déficit budgétaire avant les mesures annoncées dans le budget est au total estimée à seulement 6 milliards de livres en 2029-30. L’OBR estime que la règle budgétaire sur le déficit courant était respectée avant la prise en compte des nouvelles mesures budgétaires, avec un surplus courant d’environ 4 milliards de livres en 2029-30. Les prévisions de l'OBR ont ainsi constitué une bonne nouvelle pour la chancelière, confirmant le respect de sa règle budgétaire principale, même si la marge de manœuvre s'est resserrée.
Mais les bonnes surprises s’arrêtent là. Un élément inattendu a été la hausse des dépenses prévues des autorités locales, l’OBR anticipant une croissance rapide des budgets consacrés aux besoins éducatifs spéciaux et au handicap (un coût de 8 milliards de livres sterling en 2029-30). Le gouvernement doit faire face à une détérioration sous-jacente et désormais structurelle des dépenses sur les prestations sociales (que l’OBR a également revues à la hausse de 8 milliards de livres sterling à horizon 2029-30). Cet été, la volte-face du gouvernement sur une partie de son projet de baisse des allocations pour les personnes en situation de handicap et des allocations hivernales pour le chauffage, illustre la difficulté du gouvernement à réformer ce type de dépenses. La chancelière a décidé de ne pas lutter contre la hausse des prestations sociales mais de financer les besoins croissants par une nouvelle hausse substantielle de la fiscalité. Elle a même annoncé une mesure d’assouplissement inattendue : la suppression du plafonnement des prestations familiales à deux enfants à partir d’avril 2026 pour lutter contre la pauvreté infantile (soit un coût de 3 milliards de livres par an). Cette mesure devrait permettre à 450 000 enfants de sortir de la pauvreté d’ici 2029-30. À cela s’ajoutent d’autres mesures ayant pour objectif la réduction du coût de la vie : une hausse de 4,1% du salaire minimum (national living wage) en avril 2026, passant de 12,21 livres à 12,71 livres, et de 8,5% pour les salariés âgés de 18 à 20 ans ; une baisse des factures d’énergie des ménages d’environ 150 livres en moyenne par ménage à partir d’avril 2026 ; une prolongation de la réduction de 5 pence sur la taxe sur les carburants jusqu’à fin août 2026 ; ainsi qu’un gel d’un an sur les tarifs ferroviaires réglementés et des frais de prescription.
Afin de financer ces dépenses discrétionnaires, la chancelière est parvenue à trouver un programme significatif de hausse des impôts et des taxes, tout en laissant ses principaux taux d’imposition inchangés (taux des National Insurance Contributions ou NIC, TVA et taux de l’impôt sur le revenu). La principale mesure est de loin la prolongation de trois ans (de 2028 à 2031) du gel du barème de l’impôt sur le revenu qui rapporterait 8 milliards de livres en 2029-30 et 13 milliards de livres en 2030-31. Comme l’a reconnu la Chancelière, cela représente clairement une augmentation d’impôt pour les travailleurs. En effet, un employé type paiera 220 livres sterling supplémentaires en 2030-31 en raison de cette mesure. Une hausse directe de 1 pp du taux d’impôt sur le revenu aurait été plus équitable car elle aurait moins pénalisé les personnes à plus faibles revenus.
La deuxième mesure la plus significative en termes de recettes fiscales est l’introduction à partir d’avril 2029 de cotisations à la fois patronales et salariales (NIC) sur l’épargne-retraite au-delà de 2 000 livres par an. Enfin, le gouvernement introduit une multitude de prélèvements fiscaux orientés vers les personnes à revenus élevés, parmi lesquels une surtaxe sur les maisons valant plus de 2 millions de livres, à partir d’avril 2028, par le biais de l’impôt local (« council tax »), une hausse des taux d’imposition des dividendes et des revenus financiers de manière générale, une taxe sur les voitures électriques, etc. À ces mesures s’ajoutent un alourdissement de la fiscalité sur les jeux de hasard, une taxe de séjour pour les touristes, une extension de la taxe aux boissons sucrées à d’autres boissons, etc.
La combinaison de prévisions économiques dégradées et de dépenses budgétaires augmentées et d’une fiscalité alourdie conduit à des révisions à la hausse du ratio des dépenses publiques sur PIB et des recettes fiscales sur PIB à l’horizon des cinq prochaines années. Selon les estimations de l’OBR, les dépenses publiques représenteraient environ 44% du PIB à l’horizon 2030, soit 5 pp de plus qu’avant la pandémie et 1 pp de plus par rapport aux prévisions de mars. Les recettes fiscales atteindraient 38% du PIB.
En revanche, le calendrier de mise en place des hausses d’impôts et de taxes est défavorable pour les comptes publics. La plupart des mesures fiscales prennent effet dans les dernières années de la période de prévision, à partir de 2027-28. Les hausses des dépenses, quant à elles, sont à effet immédiat. Il résulte ainsi une détérioration du déficit budgétaire sur les quatre prochaines années (une diminution est prévue seulement en toute fin de période, en 2029-30). L’emprunt net du secteur public (PSNB) est révisé à la hausse de 0,5 pp en 2025-26 à 4,5% du PIB (après 5,1% en 2024-25, revu à la hausse de 0,4 pp), de 0,4 pp à 3,5% en 2026-27 et de 0,5 pp à 3% en 2027-28. La dette nette du secteur public (PSND) dépasserait 3 000 milliards de livres en 2026-27 (95,3% du PIB) et atteindrait un pic en 2028-29 à 97% du PIB. La dette du gouvernement général[1] est prévue à 101,4% en 2025, à 103,1% en 2026 et à un pic à 105% en 2029.
[1] Mesure utilisée pour la comparaison internationale et notamment par la Commission européenne pour les règles budgétaires des pays de l’UE. Plus étroite que la PSND, elle prend en compte seulement la dette du gouvernement local et central et non la dette du secteur public au sein large. À la différence de la PSND, elle ne déduit pas les actifs financiers liquides.
Notre opinion
Ce n’est pas le budget de la grande consolidation budgétaire que l’on anticipait, bien au contraire. Le gouvernement a fait le choix de dépenser plus tous les ans jusqu’à 2030 et d’augmenter seulement les impôts significativement vers la fin de la législature. En effet, les dépenses publiques courantes sont revues à la hausse : +0,5 pp (en pourcentage du PIB), +0,6 pp et +0,7 pp pour 2025-26, 2026-27 et 2027-28 respectivement. Dans le même temps, le poids de la fiscalité (en pourcentage du PIB) est quasi inchangé sur les deux premières années : -0,1 pp pour 2025-26, +0,1 pp en 2026-27 avant de subir une révision de +0,4 pp pour 2027-28 et de 0,7 pp pour 2028-29. En outre, l’investissement public est également revu à la hausse de 0,2 pp par an entre 2027-28 et 2029-30.
Cela se traduit dans nos prévisions de croissance par un léger stimulus budgétaire d’environ 0,15 pp par an en 2026-27 et 2027-28. Mais ne nous y trompons pas : l’impulsion budgétaire demeure restrictive, elle le sera seulement moins que prévu en mars dernier. Le déficit structurel primaire est revu à la hausse pour les quatre prochaines années et son retour à l’équilibre est reporté à 2027-28, un an plus tard que prévu en mars. Le déficit budgétaire total et la dette publique sont tous deux revus en hausse (sauf pour la toute dernière année de la législature).
Le gouvernement a choisi de jouer le rôle de la cigale plutôt que la fourmi, dépensant plus pour maintenir les prestations sociales, diminuer la pauvreté et alléger le coût de la vie pour les familles. Le coût sera supporté par les travailleurs, les épargnants et les entreprises (à travers une hausse des cotisations). Les marchés sont étonnamment cléments, probablement satisfaits par le doublement de la marge de manœuvre par rapport à la règle budgétaire principale. Mais cela est en partie dû à des prévisions de fortes recettes fiscales, elles-mêmes liées à des prévisions de croissance moins dégradées qu’attendu et surtout des prévisions d’inflation et de croissance des salaires revues en hausse. Or, ces prévisions demeurent entourées de risques baissiers. Il est tout à fait probable que les recettes fiscales continuent de décevoir, comme cela a été le cas au cours de l’année passée. De nombreuses mesures de hausses des recettes présentées dans le budget sont en effet jugées « incertaines » par l’OBR.
Article publié le 28 novembre 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine