Microtransaction, l'incontestable champion des jeux vidéo

Microtransaction, l'incontestable champion des jeux vidéo

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Au fil de ces dernières années, les échanges monétaires entièrement digitalisés entre deux entités pour des montants de l'ordre de quelques euros seulement ont pris de plus en plus de place dans l'industrie du jeu vidéo. Ces microtransactions, qui impliquent toujours les joueurs comme émetteur et les éditeurs comme bénéficiaire, constituent aujourd'hui l'une des premières sources de revenu des jeux vidéo. En 2020, les achats dans les jeux atteignaient déjà les 54 milliards de dollars. Ce montant est attendu en 2025 autour des 74 milliards.

5% à 20% des joueurs prennent part à des microtransactions

Aujourd'hui, on estime que 5% à 20% des joueurs prennent part à des microtransactions au cours de leur activité dans un jeu.

Pour le jeu mobile Candy Crush Saga développé par le studio King, 11 joueurs américains sur 100 ont jusqu'à présent effectué des paiements in-game1. Pour les jeux qui embarquent des millions de joueurs, les sommes s'accumulent donc rapidement et les gains générés sont parfois massifs. À titre d'exemple, League of Legends, un jeu Free-to-Play développé par Riot Games, a produit 1,75 milliard de dollars de revenu sur la seule année 2020.

Dans la majorité des microtransactions, de l'argent réel s'échange contre une monnaie virtuelle dédiée exclusivement au jeu. Sauf rares exceptions, cette dernière ne peut être ni échangée ni reconvertie dans sa monnaie d'origine ou encore changer de valeur une fois achetée. Ce mécanisme monétaire est un moyen pour ces jeux de créer un intermédiaire entre l'argent du consommateur et les produits proposés. En effet, le joueur n'achète pas directement un produit à un prix unitaire en monnaie légale, mais opère un échange contre une valeur virtuelle qu'il pourra dépenser en produits cosmétiques comme bon lui semble et au gré de ses envies dans la boutique virtuelle du jeu. Ce système apparaît comme un moyen de dédramatiser ou décomplexer l'achat auprès du consommateur. Il rassure ceux sceptiques à l'idée d'acheter a priori directement en monnaie légale des objets virtuels non remboursables.

Une nouvelle répartition des revenus

La majeure partie des revenus générés par l'industrie du jeu vidéo ne provient plus de la vente sèche d'un jeu, mais bel et bien de tout le contenu additionnel qu'il propose. Les développeurs sont aujourd'hui poussés à produire plus de jeux de ce type d'où l'émergence ces dernières années des jeux Free-to-Play2, massivement multi-joueurs à l'instar du modèle plus classique du Pay-to-Play.

En 2022, 13 des 20 jeux les plus populaires sur PC et consoles étaient bien des Free-to-Play. Ce type de jeu est aujourd'hui le modèle le plus répandu et de fait, celui le plus susceptible d'attirer un large public. Les jeux Free-to-Play représentent désormais le deuxième modèle économique préféré par les développeurs (36%) derrière le Pay-to-Play (50%).

En 2022, la composition du chiffre d'affaires de l'entreprise Activision Blizzard s'est révélée sous un angle significativement digital avec des microtransactions se taillant la part du lion à 78%, pour un montant de 5,89 milliards de dollars. Une somme imposante comparée au 1,64 milliard de dollars produit par les ventes de jeux physiques. De son côté, au premier trimestre 2023, Electronic Arts enregistrait 341 millions de revenu lié à des ventes classiques, contre 1,43 milliard de dollars de services en ligne. À 19%, ces ventes sèches de jeux vidéo ne forment plus qu'une part modeste du chiffre d'affaires du producteur américain.

Une diversité de moyens de paiement

Des cartes bancaires aux portefeuilles mobiles comme PayPal en passant par les virements bancaires, toutes les méthodes sont bonnes pour effectuer le paiement en ligne de ces microtransactions.

Aux États-Unis (42%), au Royaume-Uni (41%), au Canada (38%), en Allemagne (33%) ou encore en France (46%), le portefeuille mobile est le moyen de paiement le plus utilisé3. Selon les pays, d'autres moyens de paiement se distinguent comme les virements bancaires. Ils sont utilisés en majorité en Belgique (36%), en Colombie (49%), au Mexique (25%) et aux Pays-Bas (46%) par exemple. Finalement, les cartes de débit et de crédit se placent dans la plupart des pays au troisième ou au quatrième rang des modes de paiement préférés par les joueurs.

De fait, les producteurs de jeux vidéo concernés ont donc tout intérêt à varier le plus possible les méthodes de paiement, afin d'offrir un large panel de solutions à leurs consommateurs avec l'objectif de gagner en simplification et en instantanéité d'achat.

Dérives sociales

Certaines microtransactions peuvent se justifier chez certains joueurs par un besoin d'appartenance à une communauté. En effet, il arrive parfois que des achats en jeu ne s'effectuent plus par satisfaction personnelle, mais se motivent plutôt par effets de groupe. 

Effectivement, les joueurs appartenant à de larges communautés sont plus enclins à dépenser que les autres et sont également influencés par les créateurs de contenus souvent subventionnés par des marques lors d'opérations commerciales. 

Finalement, par besoin d'intégration, et pour rester à la page, certains joueurs déboursent des sommes qu'ils n'auraient pas dépensées en temps normal.

Les marques n'hésitent pas à profiter de cette situation en s'associant à des éditeurs. On peut notamment citer Prada avec Riders Republic, Balenciaga avec Fortnite ou encore Louis Vuitton avec League of Legends. Tous proposent des cosmétiques dans ces jeux.  

Il est important de noter que, sur une même base de joueurs, les microtransactions que l'on observe dans les jeux non multi-joueurs et qui proposent parfois des objets cosmétiques, sont infimes en comparaison avec des jeux massivement multi-joueurs comme Fortnite ou Apex Legends

Du gaming au gambling

Il est légitime de s'interroger quant à la nature de certains produits intégrant des microtransactions et de se demander s'ils ne relèvent pas davantage du domaine des jeux d'argent, où les statistiques – comme dans un casino – ne joueraient que très rarement en la faveur du joueur.

Concrètement, plusieurs systèmes de jeu offrent à la vente des loot boxes. Ces boîtes à butin, dont le joueur ne connaît pas le contenu spécifique avant leur ouverture et qu'il achète sur la base d'un spectre de gains potentiels, ont globalement rapporté 15 milliards de dollars de revenu à l'industrie du jeu vidéo en 2020.

La rareté d'un objet dans un jeu en fait bien évidemment sa popularité. Mais, plus un objet est rare, plus le capital à débourser pour l'obtenir peut être important. Boîtes à butin et microtransactions ouvrent donc la porte à des comportements et opportunités plus ou moins éthiques. Le passage du gaming au gambling pour certains jeux et les problématiques d'addiction générées par d'autres questionnent.

Au Danemark, il a ainsi été démontré que sur un échantillon d'adolescents âgés entre 12 et 16 ans, 56% avouaient avoir participé à des achats de loot boxes. Généralement, les pourcentages des objets les plus rares et donc les plus populaires sont situés en dessous des 2%. Par exemple, pour Apex Legends, la probabilité de gagner un héritage4 est de 1 sur 500, soit 0,2% pour chaque caisse ouverte à un coût d'environ un dollar. De plus, ces statistiques sont majoritairement difficiles à trouver ou non divulguées aux joueurs.

Selon une étude publiée en 2022, les acheteurs de loot boxes étaient quatre fois plus susceptibles de rencontrer des problèmes d'addiction liés aux jeux d'argent que les joueurs qui décidaient de ne pas en acheter. Depuis 2021, on note cependant une baisse sensible de l'augmentation annuelle des consommateurs de loot boxes passant d'un taux de 16,7% à 3% aujourd'hui.

Réglementer pour protéger

Dans un effort de protection des consommateurs, le Parlement européen a entamé en janvier 2023 une enquête sur les différents abus potentiels de ces pratiques et modèles économiques. Les loot boxes sont au cœur du débat et fortement susceptibles d'être régulées. Le Parlement européen s'est saisi de ce sujet demandant à la Commission européenne une enquête approfondie et des propositions claires dans ce domaine pour de futures régulations à mettre en place d'ici 2025.

D'ici là, certaines autorités agissent d'ores et déjà à leur niveau. L'autorité néerlandaise des consommateurs et des marchés encourage par exemple l'interdiction de ces loot boxes surtout lorsqu'elles sont facilement accessibles pour des mineurs. Les autorités néerlandaises et belges agissent depuis 2018 sur ces sujets avec déjà plusieurs réglementations comme, par exemple, pour les utilisateurs belges, la suppression des points FIFA, une mine d'or pour son émetteur Electronic Arts. De plus, les autorités allemandes demandent plus de transparence quant aux algorithmes et probabilités de ces systèmes. 

Pour les studios de jeux vidéo, la sauvegarde de ces modèles économiques très lucratifs passe aussi par les tribunaux. En Allemagne, Electronic Arts a remporté en appel un procès qui devrait faire date. Initialement condamné à payer une amende de 10 millions d'euros en 2020 pour son jeu FIFA, le groupe américain a su démontrer que son jeu n'engageait pas complètement ses joueurs dans des activités de jeu d'argent. 

De manière générale, en termes de réglementation, la situation en Europe bouge, les prises de position accélèrent. Même si certains pays avancent plus rapidement que d'autres qui préfèrent patienter, il est clair que, dans un futur proche, les modèles économiques basés sur les boîtes à butin seront impactés et forcés à s'auto-réguler. Ils seront également appelés à plus de transparence.

Même si ces réglementations permettent de prévenir les effets néfastes liés aux loot boxes, elles ne concernent que ce domaine et n'interfèrent pas avec les autres microtransactions comme celles associées au Pay-to-Win. Et pourtant, ce modèle économique utilisé dans la majorité des jeux mobiles est également soupçonné d'être responsable chez certaines personnes de symptômes d'addiction aux jeux et des comportements qui y sont associés.

 L'impact des microtransactions est si fort qu'il pousse les entreprises du secteur du jeu vidéo à adapter leur modèle économique. Aujourd'hui, créer un jeu non multi-joueur qui ne propose pas d'achats intégrés n'a plus beaucoup de sens. Il est de fait largement plus profitable d'opter pour une version non payante d'un jeu, mais qui intègre des achats in-game à son univers. Face à cette tendance, les réglementations internationales et européennes restent rares, mais se développent avec une compréhension générale, celle de protéger les utilisateurs les plus vulnérables parfois sujets à des pratiques peu éthiques de la part de certains acteurs de l'industrie du gaming. 

Ces dix dernières années, entre part d'ombre et faisceaux de lumière, les microtransactions ont révolutionné la monétisation des jeux vidéo, pour le meilleur comme pour le pire, témoignant d'une transformation majeure de cette industrie. Il est clair que les microtransactions continueront de gagner en importance au sein de cette industrie, suscitant l'espoir que leurs aspects les plus positifs sauront être privilégiés et préservés.

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1 Statista, décembre 2021

2 Pour plus d'information sur les différents modèles économiques de l'industrie des jeux vidéo, consulter notre publication du 24/07/2023 "Blockchain gaming, l'avenir du jeu vidéo ?

3 Chiffres 2022 pour les achats de type e-commerce

4 Ensemble d'objets cosmétiques le plus rare pour un personnage

Microtransaction, l'incontestable champion des jeux vidéo

Ces dix dernières années, entre part d'ombre et faisceaux de lumière, les microtransactions ont révolutionné la monétisation des jeux vidéo, pour le meilleur comme pour le pire. Indispensables à un jeu vidéo pour être profitable, elles n'en demeurent pas moins un système controversé.

Damien LIQUARD, Études Économiques Groupe