Blockchain gaming, l'avenir du jeu vidéo ?

Blockchain gaming, l'avenir du jeu vidéo ?

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La mutation de l'industrie du jeu vidéo est en cours. Dans ce marché aux milliards de dollars de revenus, les modèles économiques autour de la blockchain se multiplient. Parmi eux, le Play-and-Earn. Mais ce modèle naissant parviendra-t-il à séduire durablement la communauté des joueurs chevronnés à l'instar du succès rencontré par le Play-to-Earn auprès des joueurs occasionnels ?

Le monde du jeu vidéo, une industrie évaluée en milliards

En 2022, l'industrie mondiale du jeu vidéo a généré 197 milliards de dollars de revenus répartis entre trois plateformes principales : consoles, téléphones/tablettes et PC. Avec 2,7 milliards de joueurs qualifiés de casual gamers (jouant activement en moyenne une à deux fois par semaine, mais sur des durées courtes), par opposition aux 1,6 milliard de hard gamers (jouant sur PC/Consoles), ces utilisateurs mobiles dominent le marché avec 104 milliards de dollars générés. Les consoles se hissent à la deuxième place avec 53 milliards de dollars, suivies des PC avec 40 milliards, totalisant ainsi ensemble 93 milliards de dollars. 

Le taux de croissance annuel moyen du marché est estimé à 5% jusqu'à 2025, tandis que celui des utilisateurs est attendu à 4%. Les chiffres actuels, passés et prévisionnels du marché du jeu vidéo sont le reflet d'une industrie en constante expansion et en perpétuel renouvellement. Ses modèles économiques sont nombreux et les acteurs font face aujourd'hui à de profondes mutations. Tous gardent l'ambition d'embarquer des millions de joueurs dans leurs univers.

Des modèles économiques en nombre

L'industrie du jeu vidéo est fascinante dans la mesure où elle propose une variété de modèles économiques, parmi eux les jeux publicitaires, l'abonnement, le freemium, le Pay-to-Play, le Free-to-Play, le Pay-to-Win, le Play-to-Earn et plus récemment encore le Play-and-Earn.

  1.  Jeux publicitaires : ces jeux, qui se veulent de prime à bord gratuits, sont en réalité principalement financés par un flux constant de publicités qui se déverse directement sur les pages d'accueil ou sous forme de pop-up pendant la partie. Une option payante pour supprimer ces publicités est proposée, un moyen de générer des revenus pour ces jeux. Les jeux publicitaires sont majoritairement des jeux mobiles ou PC principalement destinés aux casual gamers. À titre d'exemple, on peut citer les jeux Doodle Jump et Subway Surfers.
  2. Abonnement : dans ces jeux, généralement accessibles sur PC ou mobile, l'accès requiert une souscription hebdomadaire, mensuelle ou annuelle pour continuer à avoir accès au service (World of Warcraft, Runescape).
  3. Freemium : l'accès au jeu est gratuit jusqu'à un certain point. Après quoi, l'utilisateur doit payer pour accéder à des fonctionnalités additionnelles. L'objectif est d'accrocher le consommateur dès les premières minutes du jeu et de l'inciter à poursuivre son expérience. Ces jeux peuvent attirer des millions d'utilisateurs. Elder Scrolls Online revendique 22 millions d'inscrits, Destiny 44 millions avec une estimation au quotidien de 420 000 joueurs actifs.
  4. Pay-to-Play : le Pay-to-Play (également appelé Buy-to-Play) propose un prix fixe à l'achat et offre ensuite l'intégralité de son contenu sans publicité ni rajout. C'est le cas de la majorité des jeux sur consoles ou PC comme Assassin's Creed produit par Ubisoft, Uncharted de Naughty dog ou encore God of War de Sony. Contrairement aux jeux publicitaires, ils sont destinés aux hard gamers. 
  5. Free-to-Play : le Free-to-Play propose un jeu totalement gratuit avec des achats intégrés (des skins ou des Battle Pass par exemple) offrant des récompenses ou des bonus pour les joueurs prêts à payer. Ces jeux (Fortnite, Fall Guys, Apex Legends) génèrent donc de l'argent grâce à leurs micro-transactions in-game. À titre d'exemple, Apex Legends, l'un des principaux concurrents de Fortnite, a généré 310 millions de dollars de revenus d'achats intégrés sur l'année 2022. 
  6. Pay-to-Win : le Pay-to-Win est une déclinaison du Free-to-Play. Celui-ci est également totalement gratuit d'accès mais fonctionne majoritairement autour d'un système compétitif entre joueurs. Pour performer plus rapidement, il faut investir pour accéder aux capacités et atouts les plus avantageux. Les jeux Hearthstone, Clash of Clans ou encore Clash Royale sont de cette catégorie.
  7. Play-to-Earn : les jeux Play-to-Earn offrent à leurs joueurs des NFT ou des jetons numériques (tokens) inscrits sur des blockchains comme Ethereum selon leurs performances ou achats dans le jeu. Ils permettent aux utilisateurs d'extraire leurs gains sur des portefeuilles numériques et de les vendre sur des plateformes spécialisées comme OpenSea par exemple. Le gameplay est généralement basique et destiné aux casual gamers principalement sur mobile. 

Play-to-Earn, des consommateurs difficiles à convaincre et fidéliser

Le phénomène du Play-to-Earn a commencé à émerger en 2018 avec le lancement majeur d'Axie Infinity, soutenu par le fonds hongkongais Animoca Brands. Depuis lors, Axie Infinity a progressivement gagné en popularité, dépassant le million d'utilisateurs actifs en juillet 2021. Cependant, depuis deux ans, le nombre de ses utilisateurs diminue. Le jeu ne compterait désormais que quelques milliers de joueurs véritablement actifs. 

Contrairement à Axie Infinity, il est difficile pour de nombreux venus de s'établir solidement et durablement dans ce segment du Play-to-Earn. En effet, la grande majorité des joueurs, motivés par le potentiel de gain marqueté par le jeu, cherche systématiquement des alternatives plus lucratives lorsque la valeur de leurs actifs dans le jeu diminue. C'est pourquoi on estime que la majorité des jeux Play-to-Earn ont une durée de vie moyenne de deux ans, ce qui souligne la nécessité permanente d'un renouvellement de l'offre.   

Le gameplay, à savoir l'histoire et la façon dont on joue à un jeu, est souvent décevant, ennuyeux et sans réel défi pour les joueurs chevronnés qui recherchent cet aspect primordial du jeu avant tout autre chose. On comprend vite que si le gameplay du jeu est déceptif, alors le seul élément attrayant du jeu devient donc sa seule capacité à générer de l'argent. 

De plus, les plateformes telles que Google Play ou Apple Store se montrent méfiantes à l'égard de ces différents jeux typés Play-to-Earn. La plupart d'entre eux n'y sont d'ailleurs pas disponibles. Il faut donc les trouver sur internet, une situation qui crée de facto une nouvelle barrière avec les consommateurs. 

Par ailleurs, malgré une récente ouverture du géant Google au Play-to-Earn, ce dernier met un point d'honneur sur la transparence et le respect des utilisateurs pour les futurs jeux qui seront disponibles sur sa plateforme Google Play. 

L'impact des guildes et le self-empowerment des joueurs

Depuis plusieurs mois, le marché du Play-to-Earn a vu l'arrivée de nouveaux acteurs, les guildes. Ces guildes ont permis aux joueurs de s'organiser entre eux pour accroître leur productivité et leur rentabilité. Ces guildes dont certaines sont particulièrement renommées (Yield Guild Games, Avocado DAO) servent de garants financiers et d'investisseurs dans le parcours des nouveaux joueurs. 

Ces banquiers virtuels offrent la mise de départ requise dans n'importe quel jeu, en échange d'un pourcentage sur les gains obtenus par le joueur. Chez Yield Guild Games, le pourcentage varie selon les jeux, mais s'élève en moyenne à environ 10% pour Axie Infinity d'après certaines sources. Dans le cas spécifique du propre programme de scholarship d'Axie Infinity, le pourcentage pris par le manager se situe entre 50% et 70% des revenus générés par le joueur !

La base des joueurs du Play-to-Earn est à rechercher davantage du côté des pays émergents que du côté des pays développés où les gains attendus par les joueurs sont encore trop éloignés du salaire moyen pour être une alternative à un emploi traditionnel. Ces guildes sont donc principalement constituées de communautés asiatiques (Philippines, Thaïlande) et latino-américaines (Brésil).  

À titre d'illustration, Lumabi, un joueur philippin, gagnait entre 8 000 et 10 000 pesos (155-195 dollars) pour seulement 2 heures de jeu par jour en début d'année 2022. 

Ce nouveau système de guilde créé par l'avènement du Play-to-Earn est aussi symbolique de l'engouement ainsi que de l'intérêt portés par les joueurs pour ce type de jeu. Ces organisations favorisent l'entraide et la communication, deux aspects essentiels au sein de toute communauté de joueurs.

Cependant, on peut se demander si ces investisseurs d'un nouveau genre ne délèguent pas la majeure partie du travail à ceux en-dessous d'eux. De plus, il convient de souligner que Yield Guild Games possède sa propre crypto-monnaie, le YGG, dont la valeur moyenne est passée d'environ 3 euros entre août 2021 et mai 2022 à seulement 10 centimes d'euros aujourd'hui en juillet 2023. 

Dans cet univers, certains spécialistes considèrent que les jeux Play-to-Earn alimentent de véritables schémas pyramidaux, les qualifiant de Ponzi, comme l'a récemment rappelé Vlad Panchenko, co-fondateur de DMarket racheté par Mythical Games, lors d'une conférence sur les jeux Web3 qui s'est tenue à Money20/20 le 7 juin dernier. 

Play-to-Earn, un pari risqué 

De nombreux modèles Play-to-Earn sont liés à des crypto-monnaies dont les cours peuvent s'avérer volatils et difficilement prévisibles, soulevant ainsi un problème. En effet, parce que ces jeux sont majoritairement destinés à une population jeune et rarement experte du Web3, certains joueurs perçoivent ce nouveau modèle économique comme sans risque et à la portée de tous.

Par exemple, entre octobre et novembre 2021, le prix du AXS, le jeton associé au jeu Axie Infinity, dépassait les 100 euros, tandis que le coût d'entrée dans le jeu était d'environ 1 000 dollars. Aujourd'hui, un AXS ne vaut plus que 5,73 euros et la mise d'entrée peut s'effectuer aux alentours de 4 ou 5 euros. On comprend alors que ceux qui ont investi il y a deux ans, et qui n'ont pas performé dans le jeu, ont perdu la quasi-totalité de leur investissement de départ. 

Par ailleurs, ces systèmes n'attirent pas les hard gamers. Ces joueurs passionnés préfèrent consacrer leur temps à des produits payants, mais finis et plus complets. De plus, ces jeux Play-to-Earn servent souvent de catalyseurs pour des collections de NFT ou de nouvelles crypto-monnaies. Ils sont parfois de purs outils marketing pour des projets allant au-delà du simple jeu.

Play-and-Earn, le véritable champion du blockchain gaming ? 

Cependant, il existe également un modèle alternatif, le Play-and-Earn qui combine à la fois l'expérience de jeu et des récompenses réelles. Dans ce modèle, l'accent est mis en premier sur l'expérience du joueur plutôt que sur les récompenses monétaires. Ce système pourrait être celui qui séduira à terme les hard gamers. Les développeurs de ces jeux s'efforcent en effet de proposer une expérience de jeu complète et un gameplay poussé, avec leur propre univers virtuel combinant tokens et NFT. 

Le Play-and-Earn est actuellement un modèle émergent, mais qui cherche à s'établir durablement dans l'industrie du jeu vidéo. Jusqu'à présent, la méthode employée paraît être la bonne avec un système économique de jetons numériques plus équilibré en comparaison au modèle Play-to-Earn. De plus, avec ce modèle économique, les achats in-game sont mieux justifiés et envisageables pour les joueurs, car la proposition de valeur du jeu est bien plus importante que dans un Play-to-Earn

Rien que l'idée d'un jeu aussi populaire que Fortnite avec des skins vendables entre joueurs, et en dehors du jeu lui-même, pourrait faire changer l'opinion des hard gamers et les inciter à investir du temps et de l'argent dans ce nouveau type de jeu

De Hearthstone à Gods Unchained, la fin des anciens modèles ?

Le jeu de stratégie de cartes Hearthstone, lancé en 2015 et appartenant à Blizzard Activision / Microsoft, a dépassé les 100 millions d'inscrits au troisième trimestre 2018, mais a vu son nombre d'utilisateurs diminuer au fil des années. Son modèle économique, qualifié de Play-to-Win, oblige les joueurs à débourser au moins 100 euros par extension (3 par an) pour continuer à performer dans son système compétitif, laissant les joueurs sur leur faim. Les dépenses s'accumulent rapidement et les utilisateurs se retrouvent avec des cartes invendables et non remboursables. 

C'est pourquoi certains studios de développement comme Horizon BlockChain Games (Skyweaver) et Immutable (Gods Unchained) ont adopté un modèle de jeu similaire, mais avec des cartes distribuées sous forme de NFT inscrits sur blockchain et donc vendables par les joueurs à leur guise. Ce nouveau système, largement révolutionnaire, brise complètement la boucle précédemment établie. Il permet aux joueurs de prendre le contrôle total sur leurs acquisitions et de se détacher de l'entreprise qui les a créées.

De plus, Epic Games, la plateforme de distribution de jeux vidéo détenue à 40% par Tencent (leader chinois des jeux vidéo et détenteur de Fortnite plus gros Free-to-Play à ce jour) a intégré Gods Unchained sur sa plateforme fin juin 2023. Ce dernier sera disponible pour une communauté d'environ 230 millions de joueurs ! Cette intégration va démultiplier le nombre d'utilisateurs et offrir un vrai challenge à ce modèle économique qui aura l'occasion de faire ses preuves à une plus grande échelle.

Blockchain gaming, un avenir encore incertain mais plein de promesses  

La récente acquisition de Gods Unchained par Epic Games est aussi la preuve que les grandes entreprises leaders du marché tentent d'intégrer le Play-and-Earn dans leurs portefeuilles de jeux avec l'objectif de démocratiser ce nouveau genre. On peut également citer la toute récente annonce du premier jeu connecté à la blockchain Oasys d'Ubisoft, Champions Tacticts Grimoria Chronicles. 

À l'inverse, les jeux Play-to-Earn et jeux blockchain ne sont pas souvent assumés par ces grandes entreprises dont les investissements dans ces jeux se font sur des seuils minoritaires. Shuji Utsumi, co-chef de l'exploitation de Sega, expliquait dernièrement à Bloomberg News la décision de l'entreprise de s'éloigner des jeux Play-to-Earn les qualifiant lui-même "d'ennuyant".  

Au-delà de Gods Unchained et Skyweaver qui restent des jeux de stratégie souvent négligés face aux MMO (Massively Multiplayer Online) ou aux Open Worlds, les acteurs du jeu vidéo attendent avec une certaine impatience désormais des projets en développement comme Illuvium qui compte déjà 187 000 membres sur son canal Discord ou encore Ember Sword et ses 68 000 membres.

Côté français, on retrouve l'inévitable Cross The Ages développé par le studio marseillais PixelHeart et soutenu par Ubisoft ou encore Animoca Brands. Ce jeu au tour par tour qui reprend le concept de carte transformable en NFT semble avoir trouvé un certain équilibre. En effet, le studio s'est donné comme ambition de développer tout un univers. Il publie entre autres des livres numériques et s'est doté d'une direction artistique mise à l'honneur pour finalement lier la blockchain à son univers à travers un jeu de plateau. Ainsi, ceux, convaincus par cette "Dark Fantasy" et son gameplay, pourront en profiter jusqu'au bout et exporter leur expérience en dehors du jeu. La méthode semble la bonne. On retrouve des fondations solides, une promesse de développement et pour finir la connexion avec le Web3. Contrairement à la majorité des Play-to-Earn, les NFT chez Cross The Ages ne sont pas une fin en soi mais un bonus offert par le jeu qui vient compléter un univers longuement réfléchi et attractif, ce qui en fait un véritable Play-and-Earn. 

Dans le monde du blockchain gaming, il est clair que le modèle Play-to-Earn a définitivement trouvé sa place auprès des casual gamers, mais il n'a pas encore convaincu les hard gamers qui continuent de s'intéresser encore et toujours aux modèles traditionnels. Cependant, l'arrivée progressive du Play-and-Earn a de fortes chances de changer cette tendance et d'attirer ces joueurs qui restent pour l'instant en attente de signaux solides et durables. Les hard gamers sont souvent plus méfiants envers les modèles économiques qui reposent uniquement sur les récompenses financières, car ils cherchent avant tout une expérience de jeu engageante et gratifiante sur le plan ludique. Le Play-and-Earn dont l'ambition principale vise à concilier plaisir et bénéfices pourrait bien être le modèle économique qui les fera basculer dans le monde du Web3. 
 

Blockchain gaming, l'avenir du jeu vidéo ?

Le Play-and-Earn est actuellement un modèle émergent mais qui cherche à s'établir durablement dans l'industrie du jeu vidéo. Jusqu'à présent, la méthode employée paraît être la bonne avec un système économique de jetons numériques plus équilibré en comparaison au modèle Play-to-Earn.

Damien LIQUARD, Études Économiques Groupe