Immobilier non résidentiel en France – Baisse des valeurs vénales des bureaux prime à Paris. Quelles conséquences pour les banques ?

Immobilier non résidentiel en France – Baisse des valeurs vénales des bureaux prime à Paris. Quelles conséquences pour les banques ?

 

  • La « mécanique » des prêts bancaires
  • L'évolution du bureau "prime" à Paris
  • Une poursuite de la baisse des valeurs vénales après 2023 entraînerait une dégradation à surveiller de la marge de sécurité des prêts bancaires 

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En avril dernier, nous nous attendions à ce que « la baisse globale des valeurs vénales de l'immobilier non résidentiel entamée en 2022 se poursuive en 2023, y compris pour les actifs prime ».

Face à ce contexte défavorable, des fonds d'investissement ont gelé ou réduit les possibilités de sortie, notamment en Europe du Nord, avec souvent des problèmes de refinancement. Dans ces conditions, il est légitime de s'interroger sur les conséquences de la baisse des valeurs vénales sur les banques, qui participent largement au financement de ces actifs immobiliers non résidentiels au travers de prêts.

Pour apporter une réponse à cette question, nous poursuivons ici notre analyse commencée dans notre publication (1)  d'avril dernier en prenant à titre d'exemple le marché des bureaux prime à Paris, qui reste le segment de référence pour l'investissement en immobilier non résidentiel en France.

La « mécanique » des prêts bancaires

Pour comprendre comment la baisse des valeurs vénales va impacter les banques, il convient de rentrer dans la « mécanique » des prêts bancaires correspondants. Dans les grandes lignes, la structuration de ces opérations de financement d'investissements en immobilier non résidentiel repose ainsi sur les éléments suivants (2) :
 -  La durée habituelle des prêts est de 7 ans. Par conséquent, les opérations arrivant à échéance en 2023 ont été initiées en 2016.
 -  Ces prêts sont généralement « bullet », c'est-à-dire non amortis et remboursés in fine au bout des 7 ans.
 -  La quotité prêtée dépend du LTV (Loan To Value). Ce ratio de dettes par rapport à la valeur de l'actif financé avait une valeur maximale de 0,65 en 2016. Ainsi, un investissement dans un actif valant 100 pouvait être financé par 65 de dettes et 35 de fonds propres, en 2016.
 -  Le taux d'intérêt de cette dette est fixe (au travers d'un swap de taux) et atteignait environ 2% pour les financements originés en 2016.
 -  L'ICR (Interest Coverage Ratio = Loyers nets / Intérêts) minimum était d'environ 2,0 en 2016, c'est-à-dire que les loyers du bien financé devaient être supérieurs à 2,0 fois les intérêts de la dette en 2016.
 -  L'actif immobilier est donné en garantie au prêteur. Ainsi, si le prêt n'est pas remboursé au bout des 7 ans, la banque peut saisir le bien pour se rembourser.

L'évolution du bureau "prime" à Paris

De 2016 à 2021 inclus, les valeurs vénales des bureaux prime à Paris ont augmenté, grâce notamment à la baisse des taux d'intérêt et des taux de capitalisation. À l'inverse, la remontée des taux d'intérêt et des taux de capitalisation ont ensuite fait baisser les valeurs vénales à partir de 2022. Cette baisse devrait se poursuivre en 2023. Enfin, les loyers de bureaux prime à Paris sont en hausse sur toute la période de 2016 à 2023, grâce notamment à une indexation prenant en compte l'inflation pour les baux en cours.

Au total, après cinq années de hausse puis deux années de baisse, les valeurs vénales de bureaux prime à Paris devraient revenir peu ou prou fin 2023 à leur niveau de 2016. L'investisseur qui avait acheté un bureau prime au prix de 100 en 2016 retrouve cette valeur de 100 en 2023, avec toujours un financement à 35 en fonds propres et 65 en dettes bancaires. À ce stade, plusieurs considérations ressortent :
 -  La banque qui avait accordé le prêt initial en 2016 n'a pas de risque de pertes en capital. En effet, la dette de 65 reste garantie par un actif valant 100 en 2023.
 -  L'investisseur devrait probablement essayer de conserver le bien en espérant pouvoir le revendre ultérieurement dans un marché plus favorable. Il cherchera donc à refinancer le bien à l'échéance du prêt en 2023.

Toutefois, la structuration des financements bancaires a évolué et, pour obtenir un refinancement, l'investisseur devra accepter les conditions suivantes en 2023 :
 -  Les taux d'intérêt fixe pour 7 ans ont augmenté à 5%
 -  La LTV maximum a baissé à 0,55. En effet, par prudence dans un marché baissier, les banques cherchent à réduire la quotité de dette accordée, à 55 en l'occurrence. Par ailleurs, les taux d'intérêt ayant augmenté bien davantage que les loyers perçus, le montant de la dette doit être réduit pour avoir un ICR acceptable.
 -  La dette bancaire baissant de 65 à 55, la part des fonds propres doit augmenter de 35 à 45. L'investisseur devra donc injecter 10 de plus d'apport en fonds propres.

Au total, la structuration des financements pour les bureaux prime à Paris en 2016 devrait éviter aux banques des pertes sur les dettes correspondantes en 2023.

Une poursuite de la baisse des valeurs vénales après 2023 entraînerait une dégradation à surveiller de la marge de sécurité des prêts bancaires

En fait, la dette bancaire est garantie par l'actif immobilier financé. Par conséquent, tant que la valeur vénale du bien reste supérieure au montant de la dette, la banque n'a pas de pertes en capital. La différence entre la valeur vénale et la dette représente la marge de sécurité des banques. Dans le cas explicité précédemment, avec une LTV de 0,65, cette marge de sécurité est de 35% à l'origination du prêt.

Cette structuration des financements a été ainsi appliquée jusqu'en 2021, point haut du marché de l'immobilier de bureaux à Paris. Par conséquent, les financements arrivant à échéance entre 2024 et 2026 se trouvent dans cette situation : leur origination 7 ans auparavant entre 2017 et 2019 leur donne une marge de sécurité de 35% au départ.

Le niveau de cette marge de sécurité évolue ensuite avec la valeur vénale. Celle-ci ayant commencé à baisser depuis 2022 et devant continuer à baisser jusqu'en 2026 (qui correspond à l'horizon de temps de nos prévisions), cette marge de sécurité devrait diminuer avec le temps et atteindre son minimum à l'échéance des financements.

Nous avons vu précédemment que les financements arrivant à échéance en 2023 conservent une marge de sécurité suffisante. Mais qu'en sera-t-il de ceux qui arriveront à échéance ensuite de 2024 à 2026 ? En effet, ces financements devraient subir une poursuite de la baisse des valeurs vénales et donc une dégradation de leur marge de sécurité. Pour répondre à cette interrogation, notre approche présentée pour 2023 a été réitérée pour les financements arrivant à échéance de 2024 à 2026.

Au total, les résultats de ces travaux montrent que la marge de sécurité des dettes bancaires se réduit de 2023 à 2026, mais reste suffisante pour protéger les banques contre une perte en capital jusqu'en 2026.

Bien entendu, cette analyse repose sur le scénario sous-jacent de baisse des valeurs vénales des bureaux prime à Paris, qui nous semble être aujourd'hui le plus réaliste. Bien évidemment, une évolution plus défavorable que prévu pourrait avoir des conséquences plus dommageables.

Par ailleurs, il convient également de souligner que cette analyse concerne le segment des bureaux prime à Paris, qui reste épargné par le développement du télétravail. À l'inverse, les marchés secondaires, notamment des bureaux en périphérie de Paris peuvent en souffrir fortement avec des taux de vacance en hausse, et des loyers et des valeurs vénales en baisse bien plus forte que pour le prime.

En conclusion, pour les prêts arrivant à échéance jusqu'en 2026, la structuration des financements mise en place ressort suffisamment résiliente à la baisse des valeurs vénales et devrait éviter aux banques des pertes sur les dettes sur les bureaux prime à Paris. Cette situation, plutôt rassurante pour aujourd'hui, demeure néanmoins soumise à l'évolution de ce marché. Par conséquent, la vigilance reste de mise et un suivi attentif de la baisse des valeurs vénales des bureaux prime à Paris demeure nécessaire pour apprécier les risques induits, notamment pour les banques.

(1) « Immobilier non résidentiel en France ‒ À cause de la hausse des taux d'intérêt, les valeurs vénales ont globalement baissé en 2022 et devraient continuer à baisser en 2023 », Perspectives N°23/112 – 20 avril 2023
(2) Critères d'octroi maximum

Immobilier non résidentiel en France – Baisse des valeurs vénales des bureaux prime à Paris. Quelles conséquences pour les banques ?

Pour les prêts arrivant à échéance jusqu'en 2026, la structuration des financements mise en place ressort suffisamment résiliente à la baisse des valeurs vénales et devrait éviter aux banques des pertes sur les dettes sur les bureaux "prime" à Paris. Cette situation, plutôt rassurante pour aujourd'hui, demeure néanmoins soumise à l'évolution de ce marché. Par conséquent, la vigilance reste de mise et un suivi attentif de la baisse des valeurs vénales des bureaux "prime" à Paris demeure nécessaire pour apprécier les risques induits, notamment pour les banques.

Quang-Khoi NGUYEN, Ingénieur-Conseil