France – Que doit-on retenir des dernières prévisions de la Banque de France et de l’Insee ?

France – Que doit-on retenir des dernières prévisions de la Banque de France et de l’Insee ?

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La Banque de France a dévoilé, lundi 16 décembre, ses projections macroéconomiques à horizon 2027. Le lendemain, c’était au tour de l’Insee, qui a publié ses nouvelles prévisions à horizon mi-2025 dans sa note de conjoncture. Les prévisions de la Banque de France ont été arrêtées avant la censure du gouvernement Barnier, et tablent sur une croissance qui marquerait le pas en 2025 (+0,9%, après +1,1% en 2024), avant une accélération de l’activité en 2026 et 2027 (à +1,3%). L’Insee a pour sa part intégré un scénario de loi spéciale, et anticipe une croissance de 0,2% par trimestre au premier semestre 2025, aboutissant à un acquis de croissance de 0,5% à mi-année, soit des prévisions relativement proches de notre nouveau scénario (cf. notre dernière publication Perspectives France ʺQuand l’incertitude pèse sur la croissanceʺ).

Les deux instituts pointent des risques à la baisse sur l’activité liés à l’incertitude sur le plan politique et fiscal au niveau national, comme sur le plan des politiques commerciales à l’échelle mondiale. Le diagnostic de poursuite de la désinflation en 2025 semble faire consensus, avec des gains de pouvoir d’achat des salaires à la clé. L’inflation se redresserait légèrement en 2026 et 2027 selon la Banque de France, tout en restant modérée, sous la cible de 2% de la Banque centrale européenne.

Dans ses projections macroéconomiques de décembre, la Banque de France laisse sa prévision de croissance pour 2024 inchangée par rapport à ses projections intermédiaires de septembre, à 1,1%, avec une activité stable au quatrième trimestre. Cette prévision pour le quatrième trimestre est conforme au diagnostic tiré de son enquête mensuelle de conjoncture, qui recoupe en réalité une croissance sous-jacente de l’activité d’environ 0,2%, associée à un contrecoup négatif de l’effet des Jeux olympiques et paralympiques de Paris (JOP) qui avait dopé l’activité au troisième trimestre. Pour 2025 et 2026, l’institution révise à la baisse ses prévisions de croissance, à respectivement 0,9% (-0,3 point) et 1,3% (-0,2 point). Elle introduit par ailleurs pour la première fois des prévisions pour l’année 2027, avec une croissance également anticipée à 1,3%. En rythme trimestriel, l’activité augmenterait ainsi de l’ordre d’un quart de point par trimestre en 2025, affectée par les mesures de consolidation budgétaire, mais aussi par l’incertitude les entourant. De ce fait, la consommation des ménages n’accélèrerait que modérément, et l’investissement privé calerait. L’activité accélèrerait ensuite en 2026 sous l’effet de la détente des conditions financières, qui permettrait un rebond de l’investissement privé, tandis que la consommation des ménages accélèrerait quelque peu, en lien avec un repli du taux d’épargne. Le rythme de croissance trimestriel diminuerait ensuite légèrement courant 2027, pour se rapprocher de la croissance potentielle.

En matière d’inflation, la Banque de France abaisse légèrement sa prévision au sens de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) pour 2024, à 2,4% (-0,1 point). Elle révise à l’inverse en légère hausse celle pour 2025, à 1,6% (+0,1 point). La prévision est inchangée pour 2026, à 1,7%, et l’institut table sur une inflation de 1,9% en 2027. L’inflation sous-jacente se replierait plus lentement, en lien avec la persistance de l’inflation dans les services, et ne passerait sous les 2% qu’en 2026 (au sens de l’IPCH hors énergie et alimentation). Cette dernière est toutefois révisée en légère baisse en 2024 et 2025 par rapport aux prévisions de septembre (-0,1 point chaque année).

Les prévisions de la Banque de France ont été arrêtées le 27 novembre, soit avant la motion de censure déposée contre le gouvernement Barnier, sur la base d’hypothèses en termes de finances publiques proches de celles du projet de loi de finances (qui projetait une baisse du déficit à 5% l’an prochain). L’institution précise qu’une consolidation budgétaire moindre n’aurait pas pour conséquence une croissance plus élevée, du fait de l’effet négatif de l’incertitude supplémentaire générée sur la demande des ménages et des entreprises.

La Banque de France propose deux encadrés intéressants. Le premier concerne les facteurs qui ont récemment joué à la hausse sur le taux d’épargne des ménages. Entre 2019 et 2024, plus de la moitié du surcroît s’expliquerait par deux éléments : les changements dans la composition du revenu disponible brut (RDB), et l’incertitude. Sur la période récente, les revenus qui ont été particulièrement dynamiques sont en effet les revenus de la propriété (en particulier financiers), pour lesquels la propension marginale à épargner est plus forte que pour la moyenne des revenus des ménages (à la fois parce qu’ils concernent surtout des ménages aisés, et parce que pour un même ménage, les revenus financiers sont plus fréquemment épargnés que ceux d’activité), et encore plus forte dans un contexte de baisse de la richesse financière nette du fait de l’inflation. Les baisses de prélèvements obligatoires observées auraient aussi été davantage épargnées, car elles concernent principalement les ménages aisés. L’incertitude, durablement plus élevée depuis la crise sanitaire, aurait aussi participé à la hausse du taux d’épargne, bien que de manière modérée si on prend l’année 2024 par rapport à 2019. La Banque de France anticipe que l’effet du premier facteur devrait se dissiper sur l’horizon de prévision, car la part des revenus de la propriété devrait diminuer dans le RDB, tandis que les revenus d’activité resteraient dynamiques et verraient donc leur poids augmenter dans le RDB. Cela justifie ainsi la baisse du taux d’épargne qu’elle inscrit en prévision (à 17,6% en 2025, puis 17% en 2026 et 16,4% en 2027, après 18% en 2024). L’institution prévient toutefois qu’un regain d’incertitude lié à la situation politique pourrait nuire à la baisse du taux d’épargne, ou du moins la retarder.

Le second encadré porte sur le risque de tensions commerciales suite aux élections américaines, et l’impact sur la France et la zone euro. L’institution considère en effet la hausse des droits de douane américains comme un risque pur, et ne l’intègre donc pas à son scénario, ce qu’elle justifie par l’incertitude entourant cette possible hausse. Un grand flou demeure en effet quant au déclenchement précis des tensions, aux mesures potentielles de rétorsion, à l’ampleur et au périmètre qui serait retenu pour la hausse des droits de douane, à la fois aux États-Unis, mais aussi dans le reste du monde. L’Union européenne serait exposée du fait qu’elle est une économie très ouverte avec le reste du monde, et la France comme l’Espagne seraient à ce titre moins exposées que l’Italie et surtout l’Allemagne, compte tenu du poids des États-Unis dans leurs exportations. L’effet dépendrait toutefois de la couverture géographique et sectorielle des mesures douanières. Les canaux de transmission exposés par la Banque de France sont les suivants. La demande adressée à la zone euro serait réduite par une hausse des droits de douane américains : les volumes importés par les États-Unis réagiraient selon une élasticité unitaire d’après le précédent de 2017-2019 (une hausse de 10% des droits de douane se traduisant par une baisse de 10% des volumes), avec un impact sur l’activité qui dépendrait donc du poids des États-Unis dans les exportations des pays. Une partie de cet effet négatif pourrait toutefois être compensé par une perte de compétitivité relative des produits chinois par rapport aux produits européens sur le sol américain, dans l’hypothèse où les droits de douane augmenteraient davantage pour la Chine. Les exportateurs européens pourraient par ailleurs ʺbénéficierʺ d’une perte de compétitivité relative des produits américains sur le sol chinois en cas de représailles de la Chine, mais les pays européens pourraient aussi souffrir d’une réorientation des exportations chinoises vers le marché européen, venant concurrencer les producteurs domestiques, avec un effet baissier à la fois sur l’activité et l’inflation en zone euro. Une possible dépréciation de l’euro face au dollar américain aurait en outre pour effet d’accroître la compétitivité-prix des exportateurs européens et l’activité, mais renchérirait les importations libellées en dollars (en France, 60% des importations d’origine extra-UE seraient facturées en dollars). Enfin, l’incertitude relative à l’évolution des politiques commerciales pèserait sur l’activité en zone euro, avec un comportement plus attentiste des entreprises exportatrices en termes d’investissement. Au total, le risque représenté par les tensions commerciales serait orienté à la baisse sur l’activité en zone euro et en France (quoiqu’il y serait de moindre ampleur), alors que le risque sur l’inflation serait plus ambivalent, à la hausse comme à la baisse, d’après la Banque de France.

Dans sa note de conjoncture de décembre, intitulée ʺL’activité suspendue à un regain de confianceʺ, l’Insee présente ses prévisions à horizon mi-2025. Des dires mêmes de ses auteurs, la situation conjoncturelle serait «morose», ce qui se traduit par une faible croissance de l’activité en prévision. L’Insee prévoit une croissance nulle de l’activité au quatrième trimestre 2024, pour les mêmes raisons que précédemment citées par la Banque de France (effet de contrecoup des JOP), ce qui implique une croissance annuelle de 1,1%. L’activité augmenterait ensuite de 0,2% par trimestre au premier semestre 2025, générant un acquis de croissance à mi-année de 0,5% pour 2025. Au dernier trimestre 2024, l’investissement des ménages et des entreprises non financières continuerait de se replier (-0,3%), mais dans une ampleur moindre qu’au troisième trimestre. La consommation des ménages augmenterait (+0,2%) malgré le contrecoup des JOP, soutenue en particulier par la consommation alimentaire et les achats de véhicules, avec des immatriculations qui se sont révélées particulièrement dynamiques en novembre, en lien avec un effet d’anticipation de la baisse du bonus sur les voitures électriques, finalement mise en place dès début décembre, et du durcissement de la norme européenne CAFE sur les émissions, prévu début 2025. La contribution du commerce extérieur à la croissance serait négative en fin d’année malgré des livraisons aéronautiques importantes, mais faible (-0,1 point). Au premier semestre 2025, l’investissement total amorcerait une stabilisation (-0,1% au premier trimestre puis +0% au deuxième trimestre), comme celui des ménages (-0,2% puis +0%), tandis que celui des entreprises non financières continuerait de subir un repli modéré (-0,3% puis -0,2%). La consommation des ménages serait le moteur de la croissance, malgré une hausse contenue (+0,1% puis +0,3%) liée au ralentissement du pouvoir d’achat et au repli très limité du taux d’épargne à l’horizon de la prévision (17,9% au deuxième trimestre 2025, contre 18,2% au troisième trimestre 2024). Le commerce extérieur contribuerait sensiblement à la croissance au premier trimestre 2025 (à hauteur de +0,2 point), puis pèserait légèrement sur la croissance au deuxième trimestre (-0,1 point), en lien avec des livraisons navales significatives prévues en tout début d’année.

Dans sa prévision, l’Insee prend bien en compte les derniers développements politiques, avec l’hypothèse d’une loi spéciale adoptée d’ici la fin de l’année 2024, qui permettrait aux administrations publiques (APU) la poursuite de la collecte des recettes selon les barèmes 2024, et une reconduction du budget voté pour 2024 en 2025 côté dépenses. Cette hypothèse se traduirait ainsi par un net ralentissement des dépenses de consommation des APU selon l’institut (+0,1% par trimestre au premier semestre 2025, après +0,2% au quatrième trimestre 2024).

En termes d’inflation, l’Insee prévoit une diminution d’ici la mi-année 2025, celle-ci passant de 1,3% en glissement annuel en novembre 2024 à 1,0% en juin 2025 au sens de l’indice des prix à la consommation (IPC). L’inflation atteindrait toutefois momentanément 1,5% sur un an en janvier 2025, du fait du réhaussement de certains tarifs réglementés (santé et assurances), avant une baisse en février en lien avec la baisse prévue des prix de l’électricité (-14% environ pour les tarifs réglementés de vente de l’électricité, avec une baisse moindre pour les ménages ayant souscrit à un contrat aux prix de marché). En glissement annuel, les prix de l’énergie seraient ainsi en repli dès février et jusqu’en juin, du fait des prix des produits pétroliers et de l’électricité, alors que ceux du gaz seraient en hausse, avec en particulier un rebond cet hiver (effet saisonnier). L’inflation alimentaire connaîtrait un léger regain, passant de +0,2% en glissement annuel en novembre 2024 à 1,1% en juin 2025, du fait à la fois des produits frais et hors frais. Les négociations en cours dans la grande distribution sont toutefois susceptibles d’influer sur cette trajectoire. L’inflation des produits manufacturés resterait très proche de 0% sur un an. L’inflation dans les services ne diminuerait que très peu, passant de 2,3% sur un an en novembre 2024 à 2,2% en juin 2025, avec en particulier une hausse prévue des prix des services de santé en décembre 2024 en lien avec les tarifs de consultation des médecins généralistes, et une décélération des prix des ʺautres servicesʺ en raison de celle des coûts salariaux. L’augmentation des tarifs d’assurance serait sensible, du fait notamment d’une hausse du taux de cotisation additionnelle de la garantie ʺcatastrophe naturelleʺ. Les prix des loyers des résidences principales ralentiraient pour leur part en lien avec la décélération de l’indice de référence des loyers (IRL). Enfin, les prix du tabac ne progresseraient presque plus sur un an à horizon de la prévision (contre +8,7% en novembre 2024), en lien avec un effet de base (hausse des accises un an plus tôt), et en l’absence de nouvelle hausse des taxes.

Dans sa note de conjoncture, l’Insee offre un éclairage sur la production agricole, qui pèserait à hauteur de 0,2 point sur la croissance annuelle en 2024 du fait des mauvaises récoltes. Un effet inverse (+0,1 point de croissance annuelle) est attendu pour 2025. Un autre éclairage expose les facteurs expliquant la hausse du taux d’épargne des ménages par rapport à l’avant-crise dans les grands pays européens, ou plutôt l’atonie de leur consommation. La proportion consommée du revenu des ménages a en effet diminué, ce qui ne peut pas être expliqué par les déterminants classiques comme le pouvoir d’achat ou le taux de chômage. La hausse du taux d’épargne serait de nature financière, puisque l’investissement en logement n’a pas augmenté, à l’exception des pays du Sud (Italie, Espagne). Celle-ci pourrait être expliquée par l’épisode inflationniste récent. Les ménages ne ressentent en effet pas la désinflation dans une ampleur similaire à celle mesurée, ou avec retard. Par ailleurs, ils ont pu vouloir conserver la valeur de leur patrimoine financier en termes réels, érodée par l’inflation. En outre, la hausse des taux d’intérêt a limité le recours au crédit à la consommation. L’incertitude politique en France et en Allemagne a également pu se traduire par des comportements d’épargne de précaution cette année. L’Insee rejoint par ailleurs l’analyse de la Banque de France sur le rôle de la composition du revenu des ménages, dont la croissance récente a été fortement portée par les revenus du patrimoine. La consommation a aussi pu être affectée par des mutations comportementales, avec en particulier des comportements de sobriété en matière d’énergie, et des achats de véhicules modérés. La plupart de ces facteurs d’explication seraient progressivement levés en 2025, ce qui devrait se traduire par une baisse modérée du taux d’épargne.

Notre opinion – Nous pouvons constater une certaine différence dans les scénarios sous-jacents aux prévisions de la Banque de France, de l’Insee et les nôtres. La Banque de France n’intègre en effet pas les derniers événements politiques dans son scénario (nous avons pour notre part récemment abaissé notre prévision de croissance de 0,2 point pour cette raison, cf. notre publication ʺQuand l’incertitude pèse sur la croissanceʺ). Par ailleurs, si l’Insee intègre bien un scénario de loi spéciale, l’institut considère une hausse des droits de douane américains uniquement comme un risque sur la prévision, comme la Banque de France d’ailleurs, alors que nous intégrons explicitement une hausse dans notre dernier scénario, qui serait toutefois moindre que dans la rhétorique de Donald Trump pendant sa campagne (cf. notre dernier scénario Monde ʺUn scénario conditionnel, plus que jamaisʺ), avec une hausse moyenne de 19,3% à 40% pour la Chine, et de 3% à 6% pour les autres pays dont la zone euro.

Notre prévision à horizon mi-2025 est relativement proche de celle de l’Insee, avec une croissance de 0% au quatrième trimestre 2024 et une progression de 0,2% par trimestre au premier semestre 2025. L’acquis de croissance pour 2025 à l’issue du premier semestre s’élève par ailleurs à 0,5% pour l’Insee et à 0,6% dans notre scénario. Contrairement à l’Insee, nous n’anticipons en revanche pas de reflux du taux d’épargne à cet horizon, même modéré (sans parler du reflux envisagé par la Banque de France d’ici 2026, qui semble désormais hors d’atteinte). Sur le marché du travail, nos prévisions de taux de chômage sont similaires à celles de l’Insee, avec une hausse limitée du taux de chômage (à 7,6% pour la France hors Mayotte selon l’Insee au deuxième trimestre 2025, et à 7,7% dans notre scénario). Nos prévisions annuelles (7,4% en 2024, 7,7% en 2025 et 7,8% en 2026) sont en outre proches de celles de la Banque de France (mêmes prévisions, sauf pour 2025 à 7,8%).

Article publié le 20 décembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

France – Que doit-on retenir des dernières prévisions de la Banque de France et de l’Insee ?

Notre prévision à horizon mi-2025 est relativement proche de celle de l’Insee, avec une croissance de 0% au quatrième trimestre 2024 et une progression de 0,2% par trimestre au premier semestre 2025. L’acquis de croissance pour 2025 à l’issue du premier semestre s’élève par ailleurs à 0,5% pour l’Insee et à 0,6% dans notre scénario. Contrairement à l’Insee, nous n’anticipons en revanche pas de reflux du taux d’épargne à cet horizon, même modéré.

Marianne PICARD, Economiste - France, Belgique et Luxembourg