France – Hausse du taux de chômage et des défaillances d'entreprises, pourquoi faut-il relativiser ?
- 19.11.2024
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Les dernières publications de l'Insee et de la Banque de France indiquent une hausse du taux de chômage (au troisième trimestre) et du nombre de défaillances d'entreprises (en octobre, en cumul sur douze mois). Pour autant, il est important de recontextualiser et compléter ces données avec d'autres indicateurs, car ces hausses sont en réalité à relativiser. Le taux de chômage évolue actuellement à un niveau historiquement bas, restant très inférieur à son niveau de la décennie 2010, et il ne devrait pas exploser. Le ralentissement de l'emploi se traduit par ailleurs par un regain relatif de productivité du travail. Le nombre de défaillances d'entreprises avait pour sa part chuté pendant la crise sanitaire, et les créations d'entreprises ont été massives depuis, signalant un bon renouvellement du tissu productif. Le nombre de défaillances semble en outre commencer à se stabiliser depuis quelques mois.
L'Insee a publié mercredi 13 novembre les données de chômage du troisième trimestre 2024. Le taux de chômage au sens du bureau international du travail (BIT) augmente légèrement, à 7,4% pour la France hors Mayotte1 (soit +0,1 point par rapport au deuxième trimestre), mais il reste bien en-deçà de son niveau pré-pandémique (8,2% au quatrième trimestre 2019 et 9,6% en moyenne entre 2010 et 2019). En outre, ce chiffre est cohérent avec les prévisions de l'Insee et de la Banque de France, qui sont loin de dresser un tableau alarmant d'ici la fin de l'année, voire d'ici 2026 pour la Banque de France. L'Insee prévoit en effet un taux de chômage progressant de nouveau de 0,1 point au quatrième trimestre, à 7,5% pour la France hors Mayotte (voir la note de conjoncture d'octobre). La Banque de France table aussi sur un taux de chômage à 7,5% en fin d'année 2024, qui augmenterait ensuite mais seulement légèrement, puisqu'il s'établirait à 7,6% en fin d'année 2025. Il décroîtrait même en 2026, s'établissant à 7,3% en fin d'année (voir les projections macroéconomiques intermédiaires de septembre 2024). Ces prévisions sont évidemment soumises à des aléas, et n'intègrent pas forcément complètement certains facteurs de ralentissement de l'activité, comme le redressement budgétaire tel qu'annoncé dans le texte initial du projet de loi de finances pour 2025, mais il reste de la marge avant que le taux de chômage atteigne un niveau inquiétant.
De notre côté, nous avions joué la prudence en prévoyant une hausse du taux de chômage un peu plus marquée au troisième trimestre dans notre dernier scénario. Les chiffres publiés par l'Insee sont donc plutôt positifs et devraient conduire à une révision à la baisse du taux de chômage en 2024 dans notre prochain scénario. Il faut dire que le dynamisme de l'emploi, puis la lenteur de son ralentissement, ont surpris tous les économistes sur la période récente. Les créations d'emplois ont été plus dynamiques que le PIB, ce qui s'est traduit par une baisse notable de la productivité du travail en France par rapport à l'avant-crise sanitaire. Si certains facteurs peuvent l'expliquer (recours accru à l'apprentissage, phénomènes de rétention de main-d'œuvre dans un contexte de difficultés de recrutement…), une bonne partie reste inexpliquée2 . Le très léger repli de l'emploi salarié au troisième trimestre (-0,1% après -0,1%), récemment annoncé par l'Insee, n'est donc pas très surprenant. En réalité, ce repli est plutôt très modeste. C'est bien le ralentissement de l'emploi (ou son très léger repli) qui, combiné à une croissance modérée de l'activité, va permettre d'enregistrer des gains de productivité et d'espérer un certain rattrapage par rapport au décrochage connu depuis la crise sanitaire.
Point sensible toutefois, le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) a augmenté sensiblement au troisième trimestre (+1,8 point à 19,7%), à son plus haut niveau depuis début 2021, son évolution sera donc à surveiller. Celui-ci reste toutefois 2 points sous son niveau du quatrième trimestre 2019.
Certains indicateurs complémentaires sur le marché du travail permettent aussi de relativiser la hausse récente du taux de chômage. En effet, le « halo autour du chômage » (personnes souhaitant un emploi sans en rechercher activement un, ou n'étant pas rapidement disponibles pour travailler) diminue au troisième trimestre, et le sous-emploi (personnes qui souhaiteraient travailler davantage) est stable à son plus bas niveau depuis 1992. La part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en études (NEET) diminue à 12% au troisième trimestre, soit 0,2 point en-deçà de son niveau du quatrième trimestre 2019. Le taux d'emploi des 15-64 ans augmente par ailleurs au troisième trimestre, et il atteint un nouveau plus haut niveau depuis que l'Insee le mesure (1975), à 69,1%, grâce à la progression du taux d'emploi des 55-64 ans (qui pourrait être l'effet de la dernière réforme des retraites). Enfin, le taux d'emploi en CDI augmente de nouveau au troisième trimestre (1,3 point au-dessus de son niveau de fin 2019), et la part du temps partiel dans l'emploi diminue légèrement (1,2 point sous son niveau du quatrième trimestre 2019), reflétant a priori une meilleure qualité de l'emploi. Notons aussi que la proportion de salariés rémunérés au SMIC a diminué au 1er janvier 2024 d'après une récente publication de la Dares (à 14,6%, contre 17,3% un an plus tôt).
La Banque de France a pour sa part publié les données provisoires des défaillances d'entreprises d'octobre ce vendredi 15 novembre. Le nombre en cumul sur douze mois est en légère hausse (+459 par rapport à septembre), mais une relative stabilisation semble poindre depuis juillet, avec +1 087 entreprises défaillantes en trois mois, soit environ le rythme moyen en un seul mois (+1 190) entre février 2022 et juillet 2024 (toujours en cumul sur douze mois).
Rappelons qu'avant ce mouvement haussier entamé en 2022, les défaillances d'entreprises avaient fortement diminué en 2020-2021, alors que les soutiens publics massifs mis en place pendant la crise sanitaire avaient permis un maintien assez homogène du tissu productif, indépendamment de la viabilité économique des entreprises aidées. La hausse du nombre de défaillances d'entreprises est donc avant tout une forme de normalisation et de rattrapage après cette période particulière. Il n'est en outre pas anormal que les défaillances d'entreprises augmentent en période de ralentissement économique (l'activité ayant ralenti depuis 2022, après le rattrapage économique post-Covid), et le renouvellement du tissu productif est un processus normal, voire bénéfique, les entreprises les plus innovantes et productives subsistant aux autres (forme de destruction créatrice).
Enfin et surtout, les créations d'entreprises ont été très nombreuses depuis la crise sanitaire, ce qui explique aussi la hausse du nombre de défaillances par un effet de taille. Une fois mis en rapport ces deux éléments (ratio du nombre de créations au nombre de défaillances), on constate que la dynamique d'entrée-sortie d'entreprises est en fait relativement favorable par rapport à l'avant-crise sanitaire (voir notamment le focus sur les défaillances d'entreprises publié en octobre dans notre scénario pour la France).
Notre opinion – Le taux de chômage devrait de nouveau augmenter légèrement en fin d'année, mais se stabiliserait globalement en 2025 à un niveau qui reste bas en perspective historique. Le ralentissement de l'emploi se traduirait par ailleurs par un léger regain de productivité du travail, compensant un peu le décrochage connu par rapport à l'avant-Covid.
La relative stabilisation du nombre de défaillances d'entreprises, qu'on constate depuis quelques mois, pourrait se confirmer dans les mois à venir. Le nombre de défaillances pourrait toutefois rester élevé pendant encore quelque temps, sans que celui-ci soit alarmant relativement aux nombreuses créations d'entreprises récentes.
1. Le taux de chômage pour la France métropolitaine s’établit pour sa part à 7,2% (+0,1 point). Ces données couvrent les personnes de quinze ans ou plus vivant en logement ordinaire.
2. Voir notamment le Bulletin de la Banque de France n° 251/1 (mars-avril 2024).
Article publié le 15 novembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
Le taux de chômage devrait de nouveau augmenter légèrement en fin d'année, mais se stabiliserait globalement en 2025 à un niveau qui reste bas en perspective historique. Le ralentissement de l'emploi se traduirait par ailleurs par un léger regain de productivité du travail, compensant un peu le décrochage connu par rapport à l'avant-Covid. La relative stabilisation du nombre de défaillances d'entreprises, qu'on constate depuis quelques mois, pourrait se confirmer dans les mois à venir. Le nombre de défaillances pourrait toutefois rester élevé pendant encore quelque temps, sans que celui-ci soit alarmant relativement aux nombreuses créations d'entreprises récentes.
Marianne PICARD, Economiste - France, Belgique et Luxembourg