France – Un nouveau Premier ministre, des défis majeurs en termes de finances publiques

France – Un nouveau Premier ministre, des défis majeurs en termes de finances publiques

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Le processus a pris du temps, mais la France a enfin un Premier ministre. Emmanuel Macron a ainsi chargé Michel Barnier de former un « gouvernement de rassemblement », sa première mission. Mais sa plus grande mission sera sans doute celle du Budget 2025, alors que le projet de loi de finances (PLF) pour l’année suivante doit traditionnellement être déposé à l’Assemblée nationale au plus tard le premier mardi d’octobre. Le Conseil d’État (i) et le Haut conseil des finances publiques (HCFP, ii) doivent aussi être consultés en amont afin qu’ils émettent respectivement leur avis sur le PLF (i), et sur le réalisme des prévisions macroéconomiques ainsi que de recettes et de dépenses publiques (ii). Cette année, il sera très difficile de respecter les délais, et le processus budgétaire devrait donc être retardé. Au-delà de cette problématique, il faudra pouvoir faire voter le Budget, et il pourrait être difficile d’aboutir à un projet suffisamment consensuel, compte tenu des nouveaux équilibres à l’Assemblée nationale. Ce PLF pourrait être celui de l’immobilisme, afin de ne pas détricoter la politique de l’offre menée par le président depuis le début de ses mandats, tout en n’adoptant pas des mesures très austéritaires qui pourraient déplaire à la gauche, la coalition du Nouveau front populaire étant sortie grande gagnante des élections législatives anticipées.

De nombreux défis attendent pourtant ce gouvernement, et en particulier en matière de finances publiques, un nouveau dérapage ayant été divulgué cette semaine. Le défi devrait d’ailleurs se prolonger sur une période relativement longue, et concerner les gouvernements suivants, si on en croit une note récente du Conseil d’analyse économique (1), qui préconise d’étaler la consolidation budgétaire sur 7 à 12 ans, avec toutefois un effort initial plus important. En effet, une consolidation trop rapide pourrait peser fortement sur la croissance, ce qui pourrait s’avérer contre-productif. En attendant, la France emprunte toujours relativement bon marché, du moins pour l’instant. Le taux d’intérêt sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) à 10 ans est en effet supérieur de « seulement » 70 points de base à celui sur le Bund allemand, considéré comme sans risque (l’écart était de l’ordre de 50 points de base avant la dissolution de l’Assemblée nationale en juin). L’Italie fait face pour sa part à un spread BTP-Bund beaucoup moins favorable, autour de 140 points de base.

D’après une note de la Direction générale du Trésor qui a été transmise aux parlementaires (sources : Les Echos, Le Monde), le déficit budgétaire pourrait s’élever à 5,6% du PIB cette année, soit nettement plus que les 5,1% prévus dans le Programme de stabilité (Pstab) au printemps dernier, si aucune mesure corrective n’est prise. Le déficit pourrait donc encore augmenter, alors qu’il s’est établi l’an dernier à 5,5% du PIB, ce qui constituait déjà un dérapage par rapport aux 4,9% prévus à l’automne dans le PLF pour 2024 (2). En cause cette année, des dépenses qui se sont envolées sur les premiers mois de 2024, et des recettes plus faibles que prévu. En termes de dépenses, les collectivités locales sont pointées du doigt, avec un surcroît qui pourrait s’élever à 16 milliards d’euros en 2024 par rapport à ce qui était prévu dans le PLF. Soit presque autant d’économies (15 milliards) à trouver d’ici la fin de l’année pour respecter l’objectif du Pstab. Du côté des recettes, elles seraient un peu plus faibles qu’anticipé pour la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés.

Le déficit public pourrait même se creuser les années suivantes si rien n’est entrepris. D’après ladite note, celui-ci pourrait en effet augmenter à 6,2% du PIB en 2025 et atteindre 6,7% du PIB en 2026, avant de s’établir à 6,5% en 2027. Le retour du déficit sous les 3% à cet horizon, un objectif réitéré par Bruno Le Maire au printemps, serait donc loin d’être atteint. Pour respecter la trajectoire du Programme de stabilité, il faudrait déjà trouver 60 milliards d’économies pour le Budget 2025, budget qui est censé être bouclé à l’automne…

La France sera en tout cas contrainte (théoriquement du moins) par une chose : le respect des nouvelles règles budgétaires européennes. Avec un étalement sur sept ans, cela correspondrait à plus de 30 milliards d’économies en 2025, et autour de 100 milliards d’euros à horizon 2028, toujours d’après la même note. Déjà un sacré défi. Avec un Premier ministre de droite mais une Assemblée divisée, la question va de nouveau se poser : faut-il augmenter les recettes ou diminuer les dépenses des administrations publiques ? Si nous avions déjà discuté dans un précédent article (3) du fait que les marges de manœuvre sur les prélèvements obligatoires apparaissent globalement limitées, la stratégie pourrait de toute façon nécessiter une action sur les deux volets (dans des proportions toutefois variables), vu l’ampleur des ajustements requis.

NOTRE OPINION

Nous avions anticipé un léger dérapage des finances publiques par rapport aux prévisions du gouvernement en 2024 et 2025, avec des prévisions de déficit à respectivement 5,4% et 4,3% du PIB dans notre scénario publié en juillet (4), qui avait pourtant été réalisé à politique économique inchangée. Compte tenu de la situation actuelle et des dernières annonces, ces prévisions pourraient être réhaussées dans notre prochain scénario, surtout en 2025. Nous considérons que les chiffres de déficits de la note citée dans cet article constituent toutefois des majorants potentiels des réalisations futures, ceux-ci découlant d’une hypothèse d’absence de mesures correctives. Malgré les incertitudes et la situation relativement inédite à l’Assemblée nationale, nous anticipons que des mesures correctives seront prises, sans certitude toutefois sur leur ampleur.
 

Article publié le 6 septembre 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

 

(1) Cf. « Quelle trajectoire pour les finances publiques françaises ? », Les notes du Conseil d'analyse économiques n°82, juillet 2024.
(2) Voir notamment notre publication « Dérapage des finances publiques, une incidence à long terme », Perspectives n°24/092,4 avril 2024
(3) Cf. « Programme de stabilité, un manque de crédibilité et de cohérence, ainsi que des défis », 30 avril 2024
(4) « Scénario 2024-2025 : entre fougue des Jeux et incertitude politique, garder la tête froide », 29 juillet 2024.

France – Un nouveau Premier ministre, des défis majeurs en termes de finances publiques

Nous avions anticipé un léger dérapage des finances publiques par rapport aux prévisions du gouvernement en 2024 et 2025, avec des prévisions de déficit à respectivement 5,4% et 4,3% du PIB dans notre scénario publié en juillet, qui avait pourtant été réalisé à politique économique inchangée. Compte tenu de la situation actuelle et des dernières annonces, ces prévisions pourraient être réhaussées dans notre prochain scénario, surtout en 2025. Nous considérons que les chiffres de déficits de la note citée dans cet article constituent toutefois des majorants potentiels des réalisations futures, ceux-ci découlant d'une hypothèse d'absence de mesures correctives. Malgré les incertitudes et la situation relativement inédite à l'Assemblée nationale, nous anticipons que des mesures correctives seront prises, sans certitude toutefois sur leur ampleur.

Marianne PICARD, Economiste - France, Belgique et Luxembourg