Corée du Sud : incendies, loi martiale et droits de douane, l’année du Serpent bleu n’a pas démarré sous les meilleurs auspices

Corée du Sud : incendies, loi martiale et droits de douane, l’année du Serpent bleu n’a pas démarré sous les meilleurs auspices

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Cinq mois jour pour jour après la proclamation de la loi martiale1, la Cour constitutionnelle coréenne a entériné la destitution du président Yoon Suk-yeol, ouvrant la voie à de nouvelles élections qui auront lieu le 3 juin prochain. Libéré début mars pour vice de procédure après environ deux mois de prison, Yoon Suk-yeol n’en a pas fini avec la justice et reste poursuivi, notamment pour insurrection, abus de pouvoir et obstruction, des crimes passibles de la peine de mort. La première saison du K-drama, marquée par « des actes inconstitutionnels et illégaux […] constituant une violation grave de la loi » s’achève donc, mais pourrait connaître une suite avec la couverture d’un procès qui s’annonce inédit dans l’histoire de la Corée du Sud. 

Les défis du prochain président

La campagne présidentielle s’annonce intense, voire violente. Celle de 2022 avait déjà mis en lumière certaines fractures, notamment d’âge et de genre, mais les événements des quatre derniers mois ont encore plus profondément divisé la société coréenne, qui s’est largement mobilisée pour demander le départ ou le retour de Yoon. 

Le candidat du Parti démocrate, Lee Jae-myung, lui-même visé par des enquêtes concernant des projets immobiliers développés sous ses mandats locaux et candidat malheureux face à Yoon en 2022, fait figure de favori. Le Parti conservateur, distancé dans les sondages, doit quant à lui trouver un candidat. 

Alors que la période d’intérim a été marquée par de nombreux retournements de situation (discussions houleuses autour de la nomination des juges nécessaires pour atteindre le quorum à la Cour constitutionnelle, arrestation mouvementée puis libération de Yoon, destitution puis réhabilitation du président par intérim Han Duck-soo, relaxe de Lee Jae-myung dans une de ses affaires judiciaires), la Corée du Sud aura bien besoin d’une autorité présidentielle pour affronter ce qui arrive. 

Depuis décembre en effet, les mauvaises nouvelles s’enchaînaient : il y a eu la loi martiale bien sûr, puis d’intenses incendies, les plus violents de l’histoire du pays, qui ont fait une trentaine de victimes et révélé de graves insuffisances de moyens pour lutter contre ce genre de catastrophes. Le coup de grâce était néanmoins venu des États-Unis, avec l’annonce de droits de douane de 25% sur toutes les exportations coréennes (à l’exception pour l’instant des semi-conducteurs). Le secteur automobile, un des premiers postes d’exportations sud-coréennes vers les États-Unis, faisait lui aussi l’objet d’une taxation spéciale de 25%. L’annonce d’une pause de 90 jours dans l’application de ces droits est un répit, qui donnera du temps à la Corée du Sud pour négocier, si toutefois ces droits entrent vraiment en vigueur.

Comment négocier avec les États-Unis ?

Bien que pénalisée par ses chamboulements politiques internes, qui limitent les marges de manœuvre du président par intérim, la Corée du Sud est dans une position de négociations plutôt plus favorable que celle de la plupart de ses voisins. Le pays a ainsi été cité avec le Japon par Trump lui-même, comme l’un des plus susceptibles de conclure un accord dans les prochains jours. 

La Corée du Sud, qui a pour l’instant choisi de négocier plutôt que de répliquer, dispose ainsi de plusieurs leviers. Le premier, une hausse de ses importations de produits américains, notamment de gaz naturel liquéfié. Les États-Unis sont déjà devenus en 2024 leur premier fournisseur de GNL (7,5 milliards de dollars importés), devant l’Australie et le Qatar. Mais la Corée du Sud aurait de la place pour augmenter ses achats. Idem pour le pétrole, premier poste des importations coréennes. 

Deuxième levier, celui des chantiers navals. Alors que Donald Trump menace toujours d’imposer des taxes pour les compagnies de fret utilisant des bateaux construits en Chine ou ayant des navires en commande en Chine, la Corée du Sud est un partenaire de choix pour faire face à la concurrence chinoise. Un protocole d’accord vient d’être signé entre le groupe de construction navale américain HII et le coréen HD Hyundai Heavy Industries, afin d’accroître la production de navires militaires et civils. Le secteur de la construction navale américaine, qui a largement décliné notamment en raison de la concurrence chinoise, pourrait ainsi s’appuyer sur celui de la Corée du Sud pour se relancer. 

Troisième axe de collaboration, le domaine militaire. Alors que les États-Unis disposent de plusieurs bases militaires sur le territoire sud-coréen, Donald Trump a plusieurs fois répété que la Corée du Sud devrait payer pour continuer de profiter de cette présence américaine agissant comme une force de dissuasion, notamment vis-à-vis de la Corée du Nord. Si aucun montant n’a pour l’instant été communiqué, la Corée du Sud pourrait accepter de contribuer plus largement aux coûts inhérents au stationnement et à l’entretien des troupes américaines. 

Enfin, les entreprises sud-coréennes ont multiplié les annonces d’investissements aux États-Unis depuis 2020. Les flux s’étaient surtout concentrés dans les secteurs stratégiques des semi-conducteurs, des voitures électriques et des batteries, sous l’effet des politiques industrielles mises en place par l’administration Biden, telles que l’Inflation Reduction Act (IRA) et le CHIPS and Science Act. L’instauration de droits de douane dans le secteur automobile pourrait conduire certains constructeurs à développer leur présence domestique. Hyundai vient d’annoncer de nouveaux investissements d’un montant de 21 milliards de dollars, incluant une aciérie en Louisiane, dont la production pourrait être utilisée dans la fabrication de véhicules électriques.  

Les marchés ont accueilli avec soulagement la décision de la Cour constitutionnelle qui, sans mettre fin à tout le désordre provoqué par la proclamation de la loi martiale en décembre, permet au moins de fixer un cap et un calendrier clairs pour les prochains mois. Ce soulagement a très vite été effacé par la déflagration des droits de douane américains, qui a fait plonger la bourse coréenne, comme celle de toutes les autres places asiatiques. 

En cas d’élection du candidat du Parti démocrate, dont la ligne est traditionnellement plus pro-chinoise que celle du Parti conservateur, la stratégie de négociation coréenne évoluerait-elle drastiquement, notamment si l’accord devait comporter un volet militaire ? La campagne n’étant pas encore lancée officiellement – des primaires doivent d’abord avoir lieu au sein des partis pour désigner leur candidat – les thèmes de campagne ne sont pas encore connus. On peut toutefois penser que la Corée du Sud, à l’image du reste de l’Asie, sera avant tout guidée par un fort pragmatisme commercial, et cherchera à préserver au maximum les intérêts de son secteur exportateur, au centre de son modèle économique. 

Alors que le pays négocie avec les États-Unis, des discussions tripartites ont également été relancées avec la Chine et le Japon en vue d’accélérer la signature d’un accord de libre-échange trilatéral « complet et équitable ». Ces discussions, entamées en 2013, avaient été suspendues en 2019 avant d’être relancées en 2024. Si les trois pays sont déjà réunis au sein du partenariat régional économique global (RCEP), cet accord serait plus large et inclurait un volet sur l’investissement. La Chine, la Corée du Sud et le Japon ont également insisté sur la nécessité de préserver le système commercial multilatéral, alors que les trois pays comptent pour environ 20% du commerce mondial. 

La Corée du Sud marche sur une ligne de crête, car un rapprochement trop fort avec la Chine pourrait aussi être pris comme une provocation côté américain. Dans ce contexte mondial extrêmement volatil, il est donc urgent qu’elle retrouve un dirigeant qui pourra imposer une ligne conductrice, quelle qu’elle soit, et incarner les intérêts de son pays.

1 Pour en savoir plus, voir les publications En Corée du Sud, après l’échec de son coup de force, le président Yoon échappe à la destitution du 12 décembre 2024 et K-Drama à Séoul du 23 janvier 2025

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Sophie WIEVIORKA, Economiste - Asie (hors Japon)