Union européenne – Le D-Day d'une réciprocité arbitraire

Union européenne – Le D-Day d'une réciprocité arbitraire

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Avec cette nouvelle salve de hausses des droits de douanes, l’administration Trump remonte les aiguilles de la montre d’un siècle. Le taux moyen pondéré passe de 1,7% à 20,7% si l’on tient compte de l’ensemble des hausses mises en œuvre depuis le début de son deuxième mandat.

L'administration américaine justifie la remontée des droits de douane imposés à l’UE à 20% par la volonté de les aligner sur les droits fixés par l’UE à son encontre, mais aussi d’infliger des mesures compensatoires sur les pays imposant des taxes et autres mesures jugées discriminatoires, à l'instar des réglementations européennes (notamment celles du numérique, DMA et DSA). La notion de réciprocité évoquée par l’administration américaine est fallacieuse, puisque le taux moyen de droits de douane pondéré par la valeur de chaque bien importé n’est pas, au départ, très différent entre l’UE et les États-Unis (3,2% et 1,7%). La partie additionnelle prendrait en compte la réciprocité sur des barrières non tarifaires. Le calcul de ce volet compensatoire n’a pas été explicité et paraît à ce jour totalement arbitraire.

Cet arbitraire nous est infligé par notre premier partenaire économique. L’UE exporte évidemment davantage de biens vers les États-Unis qu’elle n’en importe (solde : +215 Mds€, dont 92 Mds pour l’Allemagne, 39 Mds pour l’Italie, 2,8 Mds pour la France). 20% des exportations en biens de l’UE sont à destination des États-Unis (soit 502 Mds€ en 2023), 22% des exportations (hors UE) de l’Italie et de l’Allemagne (158 et 67 Mds€) et 16% pour la France (44 Mds€). Les exportations en biens de l’UE vers les États-Unis représentent 2,8% du PIB UE (4,2% pour l’Allemagne, 3,6% pour l’Italie, 1,7% pour la France) et les importations depuis les États-Unis 1,8% du PIB européen.

Sur le plan sectoriel, l’exposition de la zone euro est concentrée sur les véhicules, les machines, l’aéronautique, la pharmacie, la chimie ou encore les produits alimentaires.  

Pour les États-Unis, les exportations de biens vers l’UE représentaient en 2023 1,2% du PIB et les importations depuis l’UE 1,9% du PIB.

Le déséquilibre de la relation en faveur de l’UE en termes d’échanges de biens est atténué par les échanges de services, puisque le solde de l’UE est déficitaire dans les échanges de services (-114 milliards d’euros). La composition sectorielle de leurs exportations, orientée vers les services, les produits intellectuels et l’énergie, rend les États-Unis moins exposés aux conséquences de tensions commerciales ciblées sur les biens manufacturés.

Ces chiffres montrent le dilemme auquel seront confrontées les chancelleries européennes lorsqu’il s’agira de choisir comment répondre aux tarifs douaniers américains. La première réaction européenne aux menaces de Trump a été conciliante. U. von der Leyen a proposé d'augmenter les achats de gaz naturel liquéfié (GNL) aux États-Unis, qui ont déjà triplé pendant les trois années de guerre russo-ukrainienne ; elle a également prolongé la suspension des mesures de rétorsion sur les produits américains jusqu'au 14 avril, dans l'espoir de désamorcer l'escalade. Après tout, au cours du premier mandat de Trump, l’Union avait apaisé les hostilités commerciales en promettant d’acheter davantage de soja et de GNL.

Ces propositions semblent ne pas avoir rencontré un grand intérêt. Jusqu'à présent, Bruxelles a joué le scénario classique de la guerre commerciale, en se préparant à répondre sur les produits emblématiques fabriqués aux États-Unis comme les jeans, le bourbon et Harley-Davidson. Mais la Commission pourrait décider de faire monter les enchères en ripostant sur le secteur des services.

Notre opinion – Le nouveau durcissement de la confrontation commerciale avec les États-Unis, qui n’est pas encore inclus dans notre scénario central, fait peser un nouveau risque baissier sur nos prévisions. Dans notre prévision de décembre 2024, les prémisses de la guerre commerciale engagée par Trump avaient été intégrées sous la forme d’une révision à la baisse de la croissance de la zone euro pour prendre en compte un double impact négatif : celui d’une la hausse modérée des droits de douane, mais aussi celui de l’incertitude entourant les politiques de l’administration Trump. Plus précisément, ce scénario intégrait déjà l’impact négatif de la hausse à 25% des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, ainsi qu’un alignement du droit de douane moyen des États-Unis sur celui de l’UE. Cela se traduisait par une révision à la baisse de la croissance de 0,2 point de pourcentage (pp) par l’effet direct de la baisse des exportations et de 0,1 pp supplémentaire du fait de l’incertitude croissante pesant sur les décisions d’investissement.

Les dernières annonces de hausse des droits de douane sur les véhicules à 25% ont été intégrées dans notre scénario de mars 2025 ; cette hausse se traduirait par une baisse de 8% de la production automobile en Europe occidentale avec un impact différencié sur les grandes économies. En Allemagne, dans l’œil du cyclone, l’impact sur la croissance serait de -0,2 pp en 2025 et 2026. La ponction sur la croissance de la zone euro serait de -0,1 pp en 2025. Cette baisse serait le résultat d’un repli des importations américaines de véhicules européens, le consommateur américain ne pouvant plus absorber une telle hausse de prix et les producteurs européens ne pouvant plus ronger leurs marges. Elle résulterait également d’une relocalisation rapide de la production dans les usines des producteurs européens sur le territoire américain, qui tournent actuellement avec de faibles taux d’utilisation des capacités. Cependant, les constructeurs automobiles, ne pouvant pas créer ex‑nihilo une supply chain automobile locale en moins de deux-trois ans, devront continuer d’importer des composants en grandes quantités. 

Les droits de douane introduits le 2 avril (Libération Day) ne figurent donc pas dans notre scénario central, mais leur impact a été chiffré dans un scénario de risque (aujourd’hui avéré). Dans l’hypothèse d’absence de mesures de rétorsions de la part de l’UE, ce scénario introduit une baisse supplémentaire de 0,1 pp de la croissance du PIB en 2025, de 0,3 pp en 2026 et de 0,2 pp en 2027 pour la zone euro. Cette baisse serait plus importante pour l’Allemagne et l’Italie (-0,4 pp en 2026) et moindre pour la France (-0,2 pp en 2026). Une réplique de la part de l’UE de même ampleur que celle qui lui est infligée par les États-Unis sur les biens impliquerait une perte de croissance supplémentaire pour l’UE de 0,2 pp.

Union européenne – Le D-Day d'une réciprocité arbitraire

Les droits de douane introduits le 2 avril (Libération Day) ne figurent donc pas dans notre scénario central du mois de mars, mais leur impact a été chiffré dans un scénario de risque (aujourd'hui avéré). Dans l'hypothèse d'absence de mesures de rétorsions de la part de l'UE, ce scénario introduit une baisse supplémentaire de 0,1 pp de la croissance du PIB en 2025, de 0,3 pp en 2026 et de 0,2 pp en 2027 pour la zone euro. Cette baisse serait plus importante pour l'Allemagne et l'Italie (-0,4 pp en 2026) et moindre pour la France (-0,2 pp en 2026). Une réplique de la part de l'UE de même ampleur que celle qui lui est infligée par les États-Unis sur les biens impliquerait une perte de croissance supplémentaire pour l'UE de 0,2 pp.

Paola MONPERRUS-VERONI, Manager zone euro