Hongrie – Slovaquie : Radicalité à l'extérieur, fragilité à l'intérieur

Hongrie – Slovaquie : Radicalité à l'extérieur, fragilité à l'intérieur

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Si ce début d'année annonce une séquence économique dominée par la question sécuritaire dans les pays Baltes1, la géopolitique sera également centrale pour les économies hongroises et slovaques.

Dans ces deux pays, le pari énergétique russe est de plus en plus difficile à tenir.

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022, aucun ne s'est sevré de sa dépendance énergétique à Moscou. Les exemptions au régime de sanctions réclamées par V. Orban et R. Fico ont été utilisées pour maintenir ce flux d'énergie bon marché. Encore en 2024, Viktor Orban puis son ministre des Affaires étrangères se rendaient à Moscou pour négocier

le renforcement des liens énergétiques entre les deux pays.

Seulement, le 1er janvier 2025, l'Ukraine a appliqué sa décision de ne pas renouveler l'accord permettant au gaz russe de transiter par pipeline via l'Ukraine2, ce qu'essayaient à tout prix d'empêcher depuis plusieurs mois Budapest et Bratislava. Fin décembre, Robert Fico, le Premier ministre slovaque, disait craindre une crise énergétique. Finalement, le ministre de l'Économie a reconnu que le pays ne faisait pas face à un risque de pénurie en 2025 en raison de ses capacités de stockage et de sources alternatives d'approvisionnement (le pays dispose de connexions gazières avec tous ses voisins et devrait être approvisionné depuis l'Allemagne). Le Premier ministre slovaque s'est malgré tout rendu à Moscou, faisant de lui l'un des rares dirigeants européens (avec V. Orban) ayant rencontré Vladimir Poutine depuis le début de la guerre. La Hongrie a quant à elle fait le choix de continuer de recevoir du gaz russe grâce à sa connexion à Turkstream (via sa branche européenne Balkan Stream). Le dirigeant hongrois s'est donc rendu en Turquie, pour rencontrer R. T. Erdoğan qui souhaite depuis le début du conflit faire de son pays un hub gazier pour les pays européens3, que le gaz redistribué provienne d'Azerbaïdjan ou de Russie.

Depuis, Viktor Orban et Robert Fico sont entrés dans une escalade rhétorique avec le président ukrainien.

En plus d'échanges particulièrement acrimonieux sur les réseaux sociaux avec le président Zelensky, le Premier ministre slovaque a menacé d'interrompre les exportations d'électricité vers le pays en guerre. Bratislava et Budapest ont menacé de poser leur veto à l'intégration de l'Ukraine à l'UE. Lors du récent sommet européen, V. Orban a également menacé de bloquer le renouvellement des sanctions contre la Russie (ces sanctions doivent être renouvelées tous les six mois) qui permettent notamment de geler environ 200 milliards d'euros d'avoirs russes. Il a finalement cédé sur la question en échange d'une promesse de la Commission de s'associer aux discussions menées par Bratislava et Budapest avec Kiev et d'une déclaration sur un soutien à la sécurité énergétique de la Hongrie.

À Bruxelles, l'indignation hongroise et slovaque ne génère que très peu de sentiments de solidarité.

En effet, les exemptions accordées devaient permettre à ces pays de diversifier leurs approvisionnements, ce qu'ont fait la plupart des pays européens4. L'Ukraine avait par ailleurs annoncé neuf mois à l'avance qu'elle n'entendait pas renouveler l'accord de transit. La Commission européenne considère que la fin des livraisons par l'Ukraine n'entraîne aucun risque de pénurie ou de fluctuation majeure des prix. De plus, l'Allemagne a consenti à suspendre une taxe instituée en 2022, qui renchérissait le transit gazier vers l'Europe centrale.

La rhétorique est avant tout perçue comme un outil de négociation. Au sujet du pétrole par exemple, MOL, l'entreprise hongroise d'hydrocarbures réclame un financement européen de 500 millions d'euros pour lui permettre d'adapter ses raffineries à recevoir du pétrole non-russe. Budapest et Bratislava s'étaient également disputés avec Zagreb, dénonçant le partenaire croate comme "non fiable" pour remplacer l'oléoduc de Druzbha qui livre du pétrole russe, par l'Adria, afin de permettre l'acheminement du pétrole d'autres pays jusqu'en Hongrie et en Slovaquie à partir des ports croates. Selon Zagreb, la dispute portait essentiellement sur les frais de transit.

Pour la Slovaquie, la fin de ces livraisons signifie également la perte du revenu associé au transit vers ses voisins. Une perte significative pour le pays selon R. Fico, estimée à 500 millions d'euros par an, auxquels s'ajoute un coût de 177 millions d'euros, selon le ministère de l'Économie, rien que pour les frais de transit dont la Slovaquie devrait désormais s'acquitter pour importer son gaz.

La nouvelle radicalité avec laquelle les dirigeants de ces pays dénoncent Kiev est à mettre dans le contexte de l'affaiblissement politique auquel ils font face.

En Hongrie, le nouveau parti d'opposition Tisza, mené par Péter Magyar, ne cesse d'améliorer son score dans les sondages, si bien qu'il est désormais placé en tête devant le Fidesz, le parti du Premier ministre. Les prochaines élections législatives sont seulement prévues en 2026 mais cette situation, inédite en dix ans de pouvoir de Viktor Orban, exerce une pression politique importante sur le gouvernement alors que l'économie hongroise a déçu en 2024 et que les objectifs de croissance que le gouvernement se fixe semblent très difficilement atteignables en 2025. Notamment, la persistance de l'inflation dans le pays empêche la Banque centrale de réduire ses taux rapidement, ce qui serait un soutien non négligeable à la relance de l'économie.

En Slovaquie, c'est la majorité parlementaire du Premier ministre qui se rétrécit, elle est désormais incertaine malgré sa victoire récente aux élections législatives (septembre 2023), cela en raison de querelles internes aux partis avec lesquels le SMER a formé une coalition. Le Premier ministre envisage désormais la possibilité d'élections anticipées si sa majorité ne parvenait pas à se reconstituer. Parallèlement, des manifestations d'ampleur ont eu lieu dans tout le pays contre le gouvernement et notamment sa politique étrangère de proximité avec la Russie. La réaction de R. Fico a été de dénoncer un risque de coup d'État "à la Maïdan" en référence aux manifestations qui ont chassé le président Ukrainien Ianoukovitch en 2014. La référence à Maïdan servait aussi à sous-entendre une participation extérieure : R. Fico a d'ailleurs dit vouloir expulser des "instructeurs étrangers" qui auraient été impliqués dans les manifestations.

Notre opinion – L'élection de Donald Trump en novembre dernier accélère le calendrier d'un potentiel accord de paix. Viktor Orban y voit une aubaine avec la possibilité d'un retour à la normal des relations économiques avec la Russie : selon un récent article du Financial Times5, les diplomates hongrois s'activeraient à Bruxelles pour que la reprise des livraisons de gaz russe fasse partie d'un accord de paix.

Seulement, la Hongrie n'est pas le seul acteur à se préparer à ces négociations :

•    Kiev pour commencer tente de retirer à Moscou sa manne énergétique pour réduire sa capacité à faire la guerre, avec le résultat décrit plus tôt pour la Hongrie et la Slovaquie6. La campagne de frappes sur les infrastructures énergétiques russes, notamment les raffineries de pétrole, tient de la même volonté. L'interruption du flux gazier par l'Ukraine était annoncée et anticipable. Dépendre des flux restants (oléoduc de Druzhba et gazoduc Turkstream) représente donc un risque de rupture d'approvisionnement plus soudain.

•    Les pays Baltes et la Pologne, qui perçoivent la Russie comme une menace existentielle, craignent par-dessus tout une cessation des hostilités qui permettrait à la Russie de se renforcer sans qu'aucune garantie de sécurité ne leur soit apportée.

•    Enfin, l'Union européenne cherche des voies de collaboration avec le nouveau président américain. La première a été proposée par Ursula von der Leyen au lendemain de son élection : l'augmentation des achats de gaz naturel liquéfié américain par les Européens. Dans un monde où le gaz russe bon marché est de retour, ce deal avec D. Trump risquerait de péricliter. Pour rappel, la Commission européenne s'est également fixé l'objectif de se passer totalement des énergies fossiles russes à horizon 2027 grâce au plan RePower Europe.  

Le pari géopolitique hongrois pour son économie, suivi par la Slovaquie de R. Fico, repose donc sur l'obtention d'une paix prochaine en Ukraine bien spécifique et qui ne tient pas compte des dynamiques politiques et diplomatiques qui s'y opposent dans les pays voisins. Il n'est certes pas impossible que V. Orban et R. Fico obtiennent ce qu'ils veulent, mais en attendant leurs économies déjà affaiblis doivent subir les conséquences de ce pari, que ce soit la dégradation de la relation avec Bruxelles ou encore la hausse de la perception du risque politique et réputationnel chez les investisseurs.

Article publié le 31 janvier 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

1Voir l'article issu du Perspective Monde du 17/01/2025

2L'accord de 5 ans avec la Russie arrivait à expiration.

3En janvier 2025, la diplomatie turque a fait part de son intention de reprendre des négociations avec l'UE pour un partenariat énergétique, négociations qui avaient été interrompues en 2019 en raison des tensions avec la Grèce et Chypre.

4Le gaz russe représentait 40 % des importations de l'UE en 2021 contre seulement 10 % en 2023.

5EU debates return to Russian gas as part of Ukraine peace deal, Financial Times

6Le gazoduc traversant l'Ukraine permettait à la Russie d'engranger des revenus annuels estimés à 5 Md EUR.

 

 

 

Hongrie – Slovaquie : Radicalité à l'extérieur, fragilité à l'intérieur

L'élection de Donald Trump en novembre dernier accélère le calendrier d'un potentiel accord de paix. Viktor Orban y voit une aubaine avec la possibilité d'un retour à la normal des relations économiques avec la Russie.

Nathan QUENTRIC, Economiste - PECO et Asie centrale