Parole de banques centrales ‒ BoE : Face aux incertitudes, la prudence est de mise
- 11.02.2025
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En résumé
À l'issue de sa réunion de politique monétaire de février, la Banque centrale d'Angleterre (BoE) a réduit son taux directeur (Bank rate), de 25 points de base (pdb) à 4,5%, en ligne avec nos prévisions et celles du consensus. La banque centrale se félicite des progrès réalisés sur le plan de l'inflation, qui après un pic à près de 11% en octobre 2022 est retombée à 2% en mai 2024 et est restée proche de la cible depuis (2,5% en décembre).
Un changement "dovish" dans le résultat des votes, mais qui ne présage rien de la suite
Si la décision de réduire les taux de 25 pdb était entièrement anticipée, le résultat des votes a surpris fortement. Il montre que deux membres du comité de politique monétaire (MPC), Swati Dhingra et Catherine L. Mann, ont voté pour une baisse de taux plus significative, de 50 pdb, qui aurait porté le taux directeur à 4,25%. Le vote de Swati Dhingra n'est pas une surprise. Elle a toujours été une "dove" au sein de MPC.
Ce qui est plus notable, c'est le changement de camp de Catherine L. Mann. Cette membre du MPC, au biais historiquement hawkish, semble justifier sa décision par la nécessité d'une "approche plus activiste" afin de donner "un signal clair aux marchés sur les conditions financières qui seraient appropriées pour le Royaume-Uni". Cependant, elle pense toujours que "la politique monétaire devra rester restrictive pour un certain temps afin d'ancrer les anticipations d'inflation et le Bank rate devrait probablement rester élevé étant donné la persistance structurelle et la volatilité macro-économique". Il n'est donc pas certain que madame L. Mann continue encore de voter pour des baisses de taux de 50 pdb. Par ailleurs, la préférence de Madame L. Mann pour un rythme plus rapide de baisses de taux ne signifie pas forcément un taux directeur terminal plus bas qu'envisagé précédemment.
A contrario, pour Swati Dhingra, les raisons évoquées pour justifier son vote sont réellement liées aux "faibles perspectives de la demande" qui signifient que l'inflation devrait être, de manière soutenable, proche de la cible à moyen terme, malgré une remontée temporaire à court terme due aux prix régulés de l'énergie.
Une tonalité moins accommodante que le résultat des votes
Cette orientation légèrement plus dovish du résultat des votes n'a pas été accompagnée par une tonalité plus accommodante sans équivoque. La BoE a apporté un changement à sa forward guidance : il s'agit de l'ajout du mot "prudent" (ou "careful" ) à celui de "graduel" en ce qui concerne l'assouplissement monétaire à venir. En plus des risques de persistance de l'inflation (qui continuent de justifier une approche progressive dans le retrait de la restriction monétaire), la BoE souligne une hausse des incertitudes, à la fois mondiales et domestiques. Sur le plan des incertitudes mondiales, la BoE n'a pas encore pris en compte l'impact d'une hausse des tarifs douaniers de la part des États-Unis sur les importations de leurs partenaires commerciaux dans ses prévisions.
Sur le plan domestique, la BoE est préoccupée des incertitudes concernant les trajectoires d'offre et de demande de l'économie. En effet, si la demande ralentissait plus rapidement que l'offre, cela agirait à la baisse sur les pressions inflationnistes et justifierait un taux directeur plus bas, mais si l'offre était plus faible que la demande, les pressions inflationnistes seraient plus élevées, ce qui nécessiterait une politique monétaire plus restrictive. Le MPC continuera de surveiller de près les risques de persistance de l'inflation et les signaux que l'économie envoie sur l'évolution de cet équilibre entre l'offre et la demande. Selon nous, il s'agit d'un signal hawkish : il n'y a pas d'urgence à baisser les taux rapidement en dépit du fort ralentissement de la croissance. En effet, la BoE continue de considérer que "la politique monétaire devra rester restrictive pour suffisamment longtemps" et ce "jusqu'à ce que les risques autour d'un retour soutenable de l'inflation à la cible de 2% à moyen terme se soient entièrement dissipés". Comme en décembre (lorsque les taux ont été maintenus inchangés), le MPC indique qu'il décidera "à chaque réunion" du degré approprié du caractère restrictif de la politique monétaire.
Un taux d'intérêt d'équilibre revu à la hausse
Le rapport de politique monétaire a donné des indications supplémentaires concernant le taux d'intérêt d'équilibre de long terme. En août 2018, la BoE avait jugé que le taux d'équilibre était compris dans la fourchette de 2% à 3% à long terme en termes nominaux (0%-1% en termes réels). À présent, elle indique que les modèles macro-économiques suggèrent une hausse du taux réel d'équilibre (R*) de 25 à 75 points de base depuis 2018 (contre plus de 90 pdb selon les mesures dérivées des marchés financiers). Cela indique une borne haute pour le taux directeur de long terme à 3,75% et donc, potentiellement, seulement trois baisses de taux supplémentaires (contre deux anticipées par les marchés). Pour information, notre scénario économique central (prévisions établies à la mi-décembre) table sur un taux directeur terminal à 2,50% fin 2026 (avec quatre baisses de taux au total cette année et cinq l'année prochaine), en ligne avec la valeur centrale de l'estimation précédente du taux d'équilibre nominal de long terme.
Des prévisions économiques plus détériorées
La BoE a révisé fortement ses prévisions économiques : à la baisse pour la croissance et la productivité, à la hausse pour l'inflation et pour le taux de chômage. La prévision de croissance pour 2025 a été réduite de moitié : à seulement 0,75% (comme en 2024), contre 1,5% prévu en novembre 2024. Cela traduit en grande partie le ralentissement très marqué de l'économie au cours de la seconde moitié de 2024 et des enquêtes de climat des affaires et de confiance du consommateur plus déprimées. Le PIB réel n'a crû que de 0,1% au troisième trimestre (contre 0,3% anticipé) et la BoE anticipe désormais une légère contraction de l'activité de 0,1% au dernier trimestre 2024, suivi par un rebond de 0,1% au T1. La croissance accélérerait à partir du milieu de cette année et s'établirait à 1,5% en 2026.
Dans le cadre de son bilan annuel des capacités d'offre de l'économie, le MPC signale une productivité réduite et une baisse de la croissance potentielle au cours de l'année écoulée (de 1,5% en début d'année 2024 à environ 0,75% début 2025). En effet, en raison d'une récente révision à la hausse du niveau de la population par l'institut national des statistiques, la BoE estime que le niveau de l'offre potentielle de main-d'œuvre est plus élevé. Les rythmes de croissance n'étant pas revus dans la même proportion, cela signifie que la productivité est plus faible qu'estimé précédemment. La banque centrale anticipe toutefois une amélioration de la croissance potentielle des capacités d'offre dans les années à venir (à environ 1,5% à moyen terme avec une croissance de l'offre de travail de 0,75% par an), jugeant qu'il existe "de bonnes raisons de penser que la productivité va rebondir", notamment en raison des effets à long terme des réformes structurelles entreprises par le gouvernement.
En raison de cet affaiblissement des capacités d'offre à court terme, le ralentissement récent de la demande n'entraîne qu'un faible écartement de l'output gap : révisé à la baisse de seulement 25 pdb à -0,25% et -0,50% du PIB potentiel pour 2024 et 2025 respectivement. Le marché du travail est à présent jugé à l'équilibre (et non plus en situation de tension), avec un ratio de postes vacants par chômeur de retour à son niveau pré-crise et un taux de chômage estimé à 4,4% sur les trois mois à fin novembre. La BoE anticipe un léger rebond du taux de chômage à 4,5% au premier trimestre, une stabilité pour le reste de l'année et une hausse modeste à 4,75% en 2026, au-dessus du taux de chômage d'équilibre de long terme estimé à 4,5%.
Enfin, l'inflation connaîtrait un rebond plus marqué à court terme qu'anticipé précédemment. L'inflation CPI atteindrait 3,7% au T3-2025 (contre 2,8% prévu trois mois plus tôt), soit une révision significative due principalement aux prix de l'énergie, notamment une hausse d'environ 20% des prix du gaz sur les marchés européens depuis novembre (qui entrent dans le calcul des tarifs de gaz régulés pour les ménages). L'inflation resterait supérieure à la cible pour plus longtemps qu'anticipé en novembre et ne la retrouverait qu'à la fin de l'année 2027. Elle atteint un plus haut au T3-2025 avant de reprendre une trajectoire baissière : à 3,5% au T4-2025 (contre 2,7% prévu trois mois auparavant), à 2,4% au T4-2026 (2,2% pour la prévision précédente) et 2% au T4-2027 (1,8%).
Notre opinion – Le vent glacial de février a soufflé sur Threadneedle Street cette semaine. Il n'a pas épargné les nouvelles prévisions de croissance de la "vieille dame", révisées fortement à la baisse et où l'activité, à l'arrêt depuis la mi-2024, frôle à nouveau la récession. Pis encore, cette faiblesse de l'activité ne serait pas que conjoncturelle, la BoE y voit en partie une baisse de la productivité et des capacités d'offre de l'économie (un facteur inflationniste). Les prix connaîtront un nouveau choc à court terme d'origine principalement exogène lié à la hausse prix de l'énergie et de l'impact des mesures de politique budgétaire annoncées par le gouvernement dans son budget de l'automne. Les ménages verront le coût de la vie se détériorer de nouveau. Si la hausse de l'inflation à court terme était temporaire (pic au T3-2025), le profil d'inflation resterait supérieur à la cible pour plus longtemps, ce qui implique de nouveau des risques éventuels d'effets de second tour que la BoE cherchera absolument à éviter.
En dépit de votes des membres du MPC penchant vers davantage de baisses de taux, la communication du comité de février n'est pas dovish sans équivoque. Elle est même plutôt hawkish, validant peu ou prou les anticipations de marché de seulement deux baisses de taux supplémentaires cette année (contre trois pour nous). À retenir surtout, la révision à la hausse du taux d'intérêt réel d'équilibre de long terme signale un risque haussier sur nos prévisions de taux directeur terminal à 2,5% fin 2026.
Article publié le 07 février 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine

Le vent glacial de février a soufflé sur Threadneedle Street cette semaine. Il n'a pas épargné les nouvelles prévisions de croissance de la "vieille dame", révisées fortement à la baisse et où l'activité, à l'arrêt depuis la mi-2024, frôle à nouveau la récession. Pis encore, cette faiblesse de l'activité ne serait pas que conjoncturelle, la BoE y voit en partie une baisse de la productivité et des capacités d'offre de l'économie (un facteur inflationniste).
Slavena NAZAROVA, Economiste - Royaume-Uni, États-Unis, Irlande