Brésil – Inflation en hausse, croissance prête à décélérer
- 19.03.2025
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L'économie brésilienne a enregistré une croissance supérieure à 3%, excédant les anticipations formulées au début de l'année 2024. Le Brésil a donc bénéficié d'une expansion soutenue au cours des quatre dernières années grâce notamment au soutien budgétaire, à la hausse des salaires, du pouvoir d'achat des ménages mais aussi grâce à la demande chinoise. Une croissance robuste mais excédant la croissance potentielle : un « surrégime » qui a généré hausse des prix, des taux d'intérêt et des importations sans se traduire par une baisse du niveau de la dette qui, dans un contexte de forte incertitude généralisée, a alimenté la dépréciation du réal, renforçant ainsi l'inflation. Bien que le taux d'investissement se soit redressé, il est prématuré de diagnostiquer une élévation du potentiel de croissance. Enfin, à la faveur de l'accélération de l'inflation et du resserrement monétaire, dans un contexte de fragilité du change et de contrainte fiscale forte, des signaux de décélération ont émergé.
Croissance, inflation, marché du travail : les premiers craquements
Prévue à seulement 2% au début de l'année 2024, la croissance brésilienne n'a cessé de déjouer les prévisions et les chiffres récemment publiés ont confirmé son excellente tenue (3,4% en moyenne annuelle) : une performance qui excède celles de 2023 (3,2%) et de 2022 (3%), pourtant déjà substantielles. La seule consommation (contribution de 3,2 points de pourcentage, pp), qui a bénéficié d'une hausse des crédits à la suite de la baisse des taux d'intérêt en début d'année, explique très largement la croissance du PIB. L'investissement a bien résisté (progression de 7% en termes réels) tandis que la consommation publique a modestement contribué. Cette croissance s'est cependant accompagnée d'une forte augmentation des importations, se traduisant par une contribution nette négative à la croissance et une « évaporation » de l'excédent commercial passé de 2,4% du PIB en 2023 à 0,8% du PIB en 2024.
Des signes de décélération sont visibles. Les derniers chiffres de consommation ont été plus bas qu'attendu, reflétant une détérioration de la confiance des ménages, fortement impactés par l'inflation. Le marché du travail commence à fléchir et le taux du chômage, bien que toujours historiquement bas, enregistre en janvier une légère augmentation, la première après neuf mois consécutifs de baisse. La bonne performance de l'industrie, malgré quelques signes de faiblesse, a permis d'atténuer la décélération des services. D'autres indicateurs, comme les importations (notamment de biens intermédiaires) et les ventes de détail, se montrent néanmoins résistants. Si la hausse des salaires a ralenti, leur progression cumulée au cours des derniers mois devrait continuer à soutenir la consommation.
L'inflation a atteint 4,8% en 2024, bien au-delà des 3,9% prévus en début d'année. Les prévisions pour fin 2025 restent élevées (à 5,1%, excédant la fourchette cible de 3% ± 1,5%) et la décélération économique prévue ne semble pas suffisante pour « terrasser » l'inflation. Cette dernière a été alimentée par la robustesse de l'activité économique, le dynamisme du marché du travail, la hausse des salaires et la dépréciation du Real en 2024. Du côté des composantes, depuis le second semestre 2024, la hausse de l'inflation est principalement due aux prix des services, notamment l'éducation et la santé. De plus, l'inflation alimentaire (part la plus importante de l'indice des prix IPCA, qui impacte sévèrement les ménages, notamment les plus modestes) a accéléré au point d'excéder 7% depuis novembre. Le dernier chiffre indique une inflation annuelle toujours élevée (5,1% en février). Cette inflation forte prive Lula des bénéfices politiques d'une croissance soutenue et d'un chômage réduit.
L'inflation courante et les anticipations d'inflation, qui ne sont toujours pas stabilisées, ont conduit la Banque centrale du Brésil (BCB) à augmenter fortement les taux. Les hausses consécutives de 100 points de base (pdb) en décembre et janvier, portant le taux à 13,25%, ainsi que les hausses prévues à 100 pdb en mars et mai, témoignent de l'urgence. Cette réponse « frontloadée » a renforcé la crédibilité de la BCB et contribué à l'aplatissement de la courbe des taux. Cette détermination monétaire est d'autant plus nécessaire qu'elle aide à oublier le bruit fiscal de fin 2024 (cf. infra) et contribue au soutien du BRL, qui s'était fortement déprécié avant de revenir sous la barre (psychologique) des 6 BRL pour 1 USD.
Un fléchissement de la croissance (à 1,9%) est attendu en 2025 ; il se prolongerait en 2026 (à 1,7%). Cette décélération ne sera pas linéaire : le premier semestre de 2025 devrait encore afficher une croissance robuste, portée par une consommation soutenue et un bon comportement du secteur primaire. Inflation persistante, taux d'intérêt élevés et diminution du soutien fiscal pèseront sur la consommation et l'investissement et freineront l'activité au cours du second semestre.
Comptes publics : peu de marge face à la décélération de la croissance
Bien que le gouvernement ait respecté la règle de déficit primaire avec un déficit de 0,4%, la contrainte reste forte. Les besoins de financement sur 12 mois cumulés en décembre atteignaient 8% du PIB. La dette publique brute a augmenté de plus de 2,5 points de PIB en un an, atteignant 76,1% du PIB. La hausse du SELIC (taux directeur) exerce une pression importante sur la dette, fortement indexée sur ce taux (54% de la dette) ou sur l'inflation (24%). La BCB estime qu'une hausse de 100 points de base augmente la dette brute de 0,45 point de PIB.
Les marchés ont retrouvé une relative stabilité après la « panique »1 de fin d'année mais des inquiétudes persistent. Si les élections semblent encore un peu lointaines (fin 2026), le gouvernement ne peut ignorer la perte de popularité de Lula. Une action fiscale devrait être entreprise pour gérer la décélération attendue : l'espace fiscal étant limité, de nouvelles dépenses semblent exclues. D'éventuelles mesures fiscales pourraient être étudiées (comme la hausse de l'impôt sur les revenus des ménages les plus aisés) mais cela semble très lointain.
Les marchés manquent de visibilité (sur le Brésil certes mais sur la tournure de la politique américaine également). Bien qu'il semble peu probable qu'il y ait des changements budgétaires structurels à court terme, l'aplatissement de la courbe des taux indique une décélération attendue de la croissance et de l'inflation de la part des marchés qui paraissent désormais plus sereins. L'analyse bimensuelle du budget prévue pour mi-mars et la présentation des pré-critères pour le budget 2026 seront des dates clés à surveiller.
Comptes externes : moins brillants mais toujours « sains »
La croissance et l'écart croissant entre les taux d'épargne (stable et faible à 14,5% du PIB) et d'investissement (croissant mais encore médiocre à 17% du PIB) ont accru la pression sur les comptes externes, qui restent néanmoins « sains ». La détérioration du compte courant est principalement due à la forte hausse des importations, en augmentation de 14% en termes réels. Le déficit accru dans les services reflète une utilisation plus intense des services digitaux et de l'IA, ce qui pourrait stimuler la croissance potentielle du Brésil. Les craintes de fuite de capitaux après le bruit fiscal de fin d'année n'ont pas eu d'impact majeur. Les entrées nettes de capitaux, à 2,5% du PIB en 2024, couvrent le déficit courant, qui s'est détérioré à 2,5% du PIB, contre 1,1% en 2023. Les investissements directs étrangers nets ont atteint 2,1% du PIB, en hausse par rapport à 2023.
Le Brésil est relativement épargné par la guerre commerciale de Trump mais son statut d'émergent de référence et son histoire le placent sous surveillance. La hausse des tarifs douaniers de 25% sur l'acier et l'aluminium (6 Mds USD en 2024)2 représente un « surcoût » de 1,5 Md USD. La taxation devrait avoir un impact macro économiquement absorbable pour l'économie brésilienne. Les exportations d'acier et d'aluminium à destination des États-Unis (certes, principal marché d'exportation avec environ 35% des exportations d'acier et d'aluminium) représentent environ 1,5% des exportations totales soit in fine moins de 0,3% du PIB. Le gouvernement cherche à apaiser les tensions en soulignant que les États-Unis ont un déficit commercial avec le Brésil. En revanche, ce dernier pourrait être affecté par ricochet si la politique de Trump à l'encontre de la Chine affecte significativement les importations chinoises et/ou les cours des matières premières.
Article publié le 14 mars 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine
1 « Brésil – L'ombre du déséquilibre fiscal plane sur une économie en forte croissance », Perspectives N° 25/14 (21 janvier 2025)
2 Source FMI

Le Brésil est relativement épargné par la guerre commerciale de Trump mais son statut d'émergent de référence et son histoire le placent sous surveillance. La hausse des tarifs douaniers de 25% sur l'acier et l'aluminium (6 Mds USD en 2024) représente un « surcoût » de 1,5 Md USD. La taxation devrait avoir un impact macro économiquement absorbable pour l'économie brésilienne.
Catherine LEBOUGRE & Jorge APARICIO-LOPEZ (stagiaire), Economistes - Amérique latine