Mexique : l'économie en péril face aux tensions commerciales avec les États-Unis

Mexique : l'économie en péril face aux tensions commerciales avec les États-Unis

Lire l'article

La « trêve commerciale » entre les États-Unis, le Canada et le Mexique a connu un nouveau rebondissement. Malgré l'expiration initiale le 4 mars et l'entrée en vigueur des droits de douane de 25%, une nouvelle pause d'un mois a été accordée jusqu'au 2 avril.

Les efforts mexicains ont été considérables : réduction de 66% du flux migratoire, déploiement de soldats à la frontière, remise de narcotrafiquants aux autorités américaines, volonté d’alignement sur les droits de douane des produits chinois. Les Mexicains envisagent même un retrait de l’accord de partenariat Transpacifique (TPP).

Les marchés mexicains sont se sont révélés assez stables, le peso s'appréciant même légèrement, effaçant une partie de la dépréciation enregistrée depuis l’élection américaine. Cette réaction reflète la perception que ces mesures seraient temporaires et transactionnelles. La nouvelle suspension d’un mois d’abord sur l’automobile puis sur l’ensemble des biens a bien confirmé cette vision.

La présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, maintient une position prudente mais ferme, qui lui vaut un soutien populaire de 85%. Elle avait annoncé un rassemblement à la place du Zócalo pour l’annonce des mesures en représailles, mais en laissant assez de temps pour trouver un accord qui est finalement arrivé.

Les intentions de Trump restent difficiles à cerner, ses annonces étant souvent (et volontairement) contradictoires : ainsi, le 26 février, il annonçait une « trêve » d’un mois, puis, le lendemain, il confirmait l’entrée en vigueur des droits de douane. Les marchés supposent qu'il s'agit d'une tactique de pression pour renégocier l'ACEUM1 (USMCA) en faveur des États-Unis. Les réactions et pressions de Wall Street et des constructeurs automobiles américains ont également influencé la décision.

Bien que cette nouvelle trêve offre un répit, la menace persistante de droits de douane crée une incertitude coûteuse pour le Mexique. Les bonnes volontés mexicaines et la forte imbrication des chaînes de production entre les deux partenaires laissent espérer un accord définitif sous la forme d’un nouvel ACEUM. Entre temps, l’incertitude punit une économie mexicaine en nette décélération : on en profite pour faire un point sur celle-ci et les éventuelles conséquences d’une mise en place des droits de douane.

Croissance mexicaine en perte de vitesse

Le dernier trimestre de 2024 a vu l'économie mexicaine entrer en récession avec une contraction de 0,6%, réduisant la croissance annuelle à 1,5% pour 2024, bien inférieure aux prévisions de 2,3%. La Banque du Mexique (Banxico) a révisé à la baisse sa prévision de croissance pour 2025, passant de 1,5% à 0,6%, en raison de l’imposition de droits de douane.

Le ralentissement des secteurs primaire et secondaire depuis l'été (-2.6% production industrielle au second semestre 2024) a été aggravé par la faible performance des activités tertiaires, qui soutenaient jusqu'alors la croissance. La consommation stagne et la confiance des entreprises, et surtout des ménages, auparavant solide, commence à décliner. La croissance dépend de plus en plus de la demande externe.

L'investissement est particulièrement touché par l'incertitude économique. Les doutes sur l'avenir du libre-échange avec les États-Unis, les réformes juridiques mexicaines et les taux réels élevés (supérieurs à 6%) pèsent lourdement. Les importations de biens d'équipement se sont contractées, tout comme les IDE, de surcroît de plus en plus dominés par les réinvestissements au détriment des nouveaux investissements. Ce qui montre une certaine prudence des investisseurs, qui n’abandonnent pas l’idée de nearshoring, mais sont conscients des risques. Sans un accord de libre-échange solide avec les États-Unis, les promesses d’investissement et de croissance du Plan Mexico2 risquent de ne pas se concrétiser.

Sur le marché du travail, le chômage reste stable mais la création d'emplois et la hausse des salaires réels s’enrayent, et ce malgré la désinflation. Les envois de fonds des migrants (remesas) montrent également des signes de ralentissement.

En ce qui concerne l'inflation, la décélération économique et les taux restrictifs ont contribué à sa baisse. Elle atteint 3,6% sur un an, revenant à la bande cible d’inflation pour la première fois depuis 2021, et ce malgré la dépréciation du peso. Banxico a assoupli sa politique monétaire de 50 points de base en février et une nouvelle baisse de 50 points de base est envisagée lors de la réunion du 27 mars. La banque centrale se concentre davantage sur l'environnement économique que sur le soutien au peso, rendant peu probable une hausse des taux en réponse aux droits de douane. L'inflation diminue lentement mais des pressions subsistent, notamment dans les services. Les anticipations d'inflation bien ancrées et les derniers chiffres offrent cependant une marge de manœuvre.

Impact fiscal : marge de manœuvre davantage réduite

Un ralentissement majeur, voire une récession, pourraient avoir des impacts significatifs sur les finances publiques mexicaines, déjà très contraintes. Les prévisions de croissance du budget (2-3%), optimistes en novembre, le sont encore plus maintenant (0,6% prévu par Banxico). Le déficit élevé de 5,7% en 2024 et le refus d'entreprendre des mesures substantielles pour augmenter les revenus fiscaux, afin de compenser les pressions sur les dépenses croissantes (notamment pour PEMEX et les dépenses sociales), imposent un budget austère. L'investissement public a été fortement réduit, passant de 2,1% du PIB en 2023 à 0,8% en 2025, tout comme certaines dépenses, notamment en matière de santé3.

L'engagement de Claudia Sheinbaum en faveur d'une gestion prudente des finances publiques et son pragmatisme ont été salués par les marchés. Cependant, cette approche pourrait se révéler insuffisante sans une réforme fiscale d'envergure. Les réticences restent fortes et le coût politique serait donc élevé. Mais, sans une telle réforme, la pression croissante des dépenses pourrait mettre en péril la situation fiscale du Mexique et renforcer les craintes d'une dégradation de la notation du pays. En novembre, Moody's a ajusté ses perspectives de stables à négatives, tandis que S&P a maintenu des perspectives stables en décembre, valorisant la stabilité politique et la prudence budgétaire et monétaire.

Comptes externes : résilience mexicaine ?

Les comptes externes mexicains demeurent apparemment solides, avec un déficit du compte courant (0,3% du PIB) largement financé par les IDE nets (1,7% du PIB) en 2024. Les exportations et importations ont connu une hausse significative au deuxième semestre, en partie due à un effet de « frontloading » en anticipation des tarifs douaniers. Un déficit courant similaire est prévu pour 2025, car la baisse des exportations, surtout en cas de droits de douane, devrait être amortie par une réduction des importations en raison d'une demande plus faible. Les remesas et les IDE entrants devraient également continuer à diminuer.

Appliqués sur l’ensemble des exportations (490 milliards de dollars, soit un quart du PIB mexicain, dont 130 milliards pour le seul secteur automobile), des droits de douane de 25% engendreraient un coût supplémentaire de plus de 100 milliards de dollars. Qui pourrait l’absorber ? Une dépréciation du peso mexicain serait un premier élément de réponse mécanique mais insuffisant et accompagné de « dommages collatéraux » comme l’inflation importée.

Notre opinion

L'économie mexicaine affronte des vents contraires importants. L'incertitude générée par les réformes internes et le contexte commercial et politique externe affectent la performance économique, déjà décevante à la fin de l'année 2024. L'investissement (public et privé) est fortement impacté et la consommation ralentit considérablement. Les risques persistent et ne seront que partiellement compensés par des conditions monétaires plus souples qui elles-mêmes sont incertaines. L'importante imbrication des chaînes de valeur et la volonté politique mexicaine laissent espérer un accord, permettant au Mexique de se redresser et au Plan Mexico de se concrétiser. Cette nouvelle négociation sera probablement plus favorable aux États-Unis, avec des règles de contenu local plus strictes ainsi que des contrôles et droits de douane plus élevés pour le Mexique (et le Canada) sur les biens en provenance de Chine.

  1. Accord Canada États-Unis Mexique
  2. Consulter notre publication : Mexique : guerre commerciale, premières salves, cessez-le-feu fragile – 12 février 2025
  3. Consulter notre publication : Mexique – Budget 2025, « raisonnable » mais réaliste ? – 8 janvier 2025
Mexique : l'économie en péril face aux tensions commerciales avec les États-Unis

L'économie mexicaine affronte des vents contraires importants. L'incertitude générée par les réformes internes et le contexte commercial et politique externe affectent la performance économique, déjà décevante à la fin de l'année 2024. L'investissement (public et privé) est fortement impacté et la consommation ralentit considérablement. Les risques persistent et ne seront que partiellement compensés par des conditions monétaires plus souples qui elles-mêmes sont incertaines.

Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine