Brésil – Ralentissement, désinflation et ajustement fiscal, tout est plus lent que prévu ou désiré

Brésil – Ralentissement, désinflation et ajustement fiscal, tout est plus lent que prévu ou désiré

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Désinflation : trop lente pour espérer un assouplissement monétaire rapide 

Après trois ans de forte croissance, dont 3,4% de 2024, l’économie brésilienne commence à ralentir1. La croissance, à 2,5% en glissement annuel au deuxième trimestre, est en recul par rapport aux 3,7% du premier trimestre. La demande intérieure croît plus lentement sous l’influence, notamment, de taux d’intérêt réels élevés. Pour la première fois depuis 2023, l’investissement a fortement ralenti. La consommation, tant publique que privée, affiche également sa plus faible croissance sur un an depuis 2021 et les autres indicateurs relatifs à la consommation des ménages suggèrent un prolongement de ce repli. L’assagissement de la demande domestique se traduit par une contribution négative bien moindre des importations. Ce ralentissement est, néanmoins, graduel car le marché du travail reste assez dynamique2 avec un taux de chômage historiquement bas à 5,6% (le taux de participation, toujours inférieur d’un point à son niveau pré-pandémique, 62% vs 63%, y concourt) et une hausse importante des salaires réels (les salaires minimum et moyen excèdent, respectivement, de 9% et 15% leurs niveaux de 2022). Les signes de ralentissement commencent, toutefois, à se faire sentir sur les créations d’emplois. La contribution assez fortement positive des stocks à la croissance au cours des trois derniers trimestres invite aussi à la vigilance.

La croissance attendue pour 2025 se situerait vers 2,3% : une révision à la hausse de notre prévision initiale (1,9%). Le ralentissement devrait se poursuivre en 2026 où la croissance avoisinerait 1,7%. Du côté de l’offre, la croissance est surtout tirée par le secteur des services (notamment information, communication, transports et services financiers). L’agriculture, mais aussi l’industrie manufacturière et la construction, plus dépendants des investissements, sont en légère décroissance. 

Ces quatre années de croissance supérieure au potentiel, avec un marché du travail dynamique, des hausses de salaires mais aussi des chocs d’offre mondiaux et une dépréciation du BRL en 2024 se sont traduites par une hausse sensible de l’inflation. À 5,10% en août, elle excède toujours la limite supérieure de l’objectif de la Banque centraleBanco Central do Brasil (3% ± 1,5%). La politique monétaire restrictive de la BCB, déterminée à « terrasser » l’inflation avec des taux directeurs très élevés (15% depuis juin) et une communication ferme, a très récemment permis d’abaisser les anticipations d’inflation à l’intérieur de la cible officielle. Mais, d’une part, la BCB estime que ce repli est fragile et, d’autre part, l’inflation sous-jacente, notamment les prix des services, continuera de soutenir l’inflation. La BCB devrait être contrainte de maintenir des taux « punitifs » jusqu’à la fin de l’année. Son discours a cependant évolué et une distinction (subtile) a été introduite : il n’est plus question d’une pause dans la hausse mais d’un nouveau moment de stabilité de taux. Quoiqu’il en soit, ce moment de stabilité risque de durer et un assouplissement ne paraît envisageable qu’en 2026 et une fois que les effets du ralentissement et de l’appréciation passée du real seront patents. Enfin, les élections de 2026 et les pressions budgétaires sont susceptibles d’inciter la BCB à davantage de prudence. 

Guerre douanière mais nouveaux accords : les comptes externes résistent

Les comptes externes restent solides malgré l’élargissement du déficit courant. Cette dégradation s’explique principalement par l’augmentation du déficit commercial, conséquence de la forte hausse des importations, stimulées par la vigueur de la demande intérieure. Toutefois, un ralentissement de la croissance des importations est déjà perceptible. Le déficit courant demeure entièrement financé par les flux d’investissements directs étrangers (IDE) qui se maintiennent à un niveau élevé. 

Sur le plan commercial, le Brésil a subi l’instauration de droits de douane allant jusqu’à 50% par l’administration Trump. L’impact demeure limité compte tenu du faible poids des États-Unis dans les échanges (13% des exportations brésiliennes, soit moins de 2,5% du PIB) et des nombreuses exemptions accordées, couvrant plus de 600 produits représentant 43% des exportations brésiliennes vers ce marché, dont le pétrole, les minerais et les équipements aéronautiques. Certains secteurs stratégiques, tels que le café, la viande bovine, l’aluminium ou l’acier, sont toutefois directement exposés. Le gouvernement Lula a annoncé un ensemble de mesures de soutien fiscal ciblées pour ces filières. Parallèlement, le Brésil cherche à renforcer ses relations commerciales avec d’autres partenaires, en particulier les BRICS au sein desquels la Chine occupe une place de choix, tout en s’appuyant sur de nouveaux accords commerciaux, tels que ceux conclus entre le Mercosur et l’Union européenne ou l'Association européenne de libre-échange (European Free Trade Association, EFTA), dans la continuité de sa stratégie traditionnelle « d’autonomie stratégique ». 

Problème fiscal : lancinant et difficile malgré des efforts 

La trajectoire de la dette brésilienne demeure la principale source d’inquiétude économique. Les marchés se sont montrés plutôt rassurés ces derniers mois par le respect de la règle budgétaire : en 2025, le déficit primaire serait proche de 0,4% du PIB pour un déficit total de 8,2%. Portés par la résistance de la consommation et du marché du travail, des importations mais aussi des recettes ponctuelles, les revenus (cumulés sur 12 mois à fin août) ont augmenté de 6% en termes réels sur un an. Les dépenses (selon le même calcul) ont baissé de 3% en raison du gel de certaines dépenses. L’objectif de déficit primaire devrait être atteint en 2025 mais des risques, liés à de moindres recettes au second semestre 2025 si la décélération se confirme voire s’amplifie, persistent. Ce bon comportement du résultat primaire a permis au spread EMBI de revenir à son niveau d’avant les inquiétudes de fin 20243

Fait inédit, surtout en année électorale, le budget 2026 a « séduit » les marchés. Les dépenses primaires, notamment le volet social, se sont révélées inférieures à leurs attentes. Les recettes prévues semblent optimistes en raison, notamment, d’une prévision de croissance assez favorable (2,45% vs 1,7% selon le consensus). Par ailleurs, le budget requiert l’approbation de certaines mesures nécessaires à la hausse des recettes par le Congrès (élimination de niches fiscales, création de nouveaux impôts variés sur les actifs virtuels ou les paris sportifs). Le gouvernement prévoit un surplus primaire de 0,2% pour 2026, très insuffisant pour stabiliser le ratio dette/PIB, qui souffre du poids élevé de la charge de la dette (avec des intérêts absorbant près de 7% du PIB en 2025) et conduit à un déficit total prévu à 8%. 

Si les progrès enregistrés sur le front primaire méritent d’être notés, demeure la question du déficit total et du poids des intérêts. Ceux-ci, supérieurs à la croissance nominale, alimentent une dynamique de dette insoutenable qui exige une correction. Malgré la forte croissance brésilienne des dernières années, la dette a augmenté. La dette brute (telle que mesurée par la BCB) devrait progresser de près de 3 points de PIB en 2025 à 79,5% et continuer en 2026 pour se situer autour de 82% du PIB (même avec des hypothèses favorables telles que la croissance retenue par le gouvernement et une baisse du taux d’intérêt moyen de 11% à 9%). Or, la rigidité des dépenses primaires ne permet pas de compenser l’alourdissement du coût de la dette. Effrayés l’année passée, mais actuellement, confiants à l’égard du Brésil, les investisseurs semblent parier sur la réalisation d’ajustements structurels qui viendraient flexibiliser les dépenses. Tout signal contraire à leurs espoirs pourrait de nouveau « chahuter » les primes. 

Références

  1. « Brésil : inflation en hausse, croissance prête à décélérer » – Mars 2025
  2. « Amérique latine – Marchés du travail : embellie conjoncturelle, fragilités persistantes » – Décembre 2024
  3. « Brésil : l'ombre du déséquilibre fiscal plane sur une économie en forte croissance » – Janvier 2025

Article publié le 3 octobre 2025 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine

Brésil – Ralentissement, désinflation et ajustement fiscal, tout est plus lent que prévu ou désiré

Si les progrès enregistrés sur le volet budgétaire primaire méritent d’être notés, demeure la question du déficit total et du poids des intérêts. Ceux-ci, supérieurs à la croissance nominale, alimentent une dynamique de dette insoutenable qui exige une correction. Malgré la forte croissance brésilienne des dernières années, la dette a augmenté.

Jorge APARICIO LOPEZ, Economiste (stagiaire) - Amérique latine